Entretien avec Romain Mauger, docteur en droit et membre de l’Association Française des Docteurs en Droit, qui analyse l'émergence du droit de la transition énergétique.
A l’occasion du partenariat entre Predictice et l’AFDD, nous vous proposons une série consacrée aux contributions des docteurs en droit co-rédacteurs de l’ouvrage « Droit en mutation II » (2/8).
Pourquoi avez-vous choisi de traiter ce sujet ?
Tout d’abord pour une raison très pratique. Lorsque j’ai commencé ma thèse, en 2013, j’étais développeur de parcs éoliens pour une entreprise française. La transition énergétique c’était donc mon quotidien. Toutefois, j’avais des questionnements plus globaux que ceux concernant les autorisations administratives d’installation d’aérogénérateurs.
C’était aussi au commencement de l’élaboration de la loi de transition énergétique (à travers notamment le débat national sur la transition énergétique — DNTE). J’ai alors cherché à savoir si l’accumulation de textes juridiques se référant à la transition énergétique (soit le remplacement de la matrice énergétique actuelle fondée sur les énergies fossiles et nucléaire par une autre fondée principalement ou complètement sur les énergies renouvelables) conduisait à l’élaboration d’une nouvelle branche du droit.
Pouvez-vous nous parler de l’émergence du droit de la transition énergétique et de la méthode de co-construction qui s’en dégage?
A partir de l’élection présidentielle de 2012, la transition énergétique s’est retrouvée textuellement dans de nombreuses lois (telles la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, ou la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte), mais aussi dans les attributions du ministère compétent, actuellement dénommé Transition écologique et solidaire.
En parallèle, de nombreuses normes plus techniques ou spécifiques (lois de finance, ordonnances, décrets) viennent constamment ajouter à ce corpus juridique. La législature actuelle continue d’ailleurs dans cette veine, avec la transition énergétique qui est par exemple mentionnée au titre des motivations de la toute récente loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.
C’est donc une politique énergétique qui est transformée en droit. Somme toute, rien d’extraordinaire.
Toutefois, c’est peut-être davantage sa méthode qui marque un changement dans le domaine de la fabrique de la loi, en tout cas pour l’énergie. La création d’un droit pour la transition énergétique en France, c’est la transposition d’une logique de concertation et de participation du public chère au droit de l’environnement aux questions jugées habituellement trop complexes de l’énergie.
Ainsi, les conférences environnementales de 2012 à 2016 tout comme le DNTE de 2012–2013 ont eu pour mission officielle d’influer sur la fabrique de ce droit.
Ladite co-création est d’ailleurs mentionnée dans l’exposé des motifs du projet de loi de transition énergétique, comme une marque de fabrique. La méthode a donc précédé la loi-phare de transition, mais elle a aussi suivi ce droit dans son application, contrôlée par des institutions créées à cet effet et regroupant experts et représentants de divers groupes de la société (tel le conseil national de la transition écologique).
Quels sont les critères dégagés en doctrine permettant d’affirmer l’autonomie d’une discipline juridique ?
Ils varient selon les auteurs. Je me suis penché sur les critères de cinq d’entre eux : Bekaert, Carbonnier, Chazal, Vedel et Waline. Soit ils identifient un critère principal, auquel cas il est possible de voir une gradation dans la difficulté de l’atteindre (de la recherche de principes généraux et méthodes de raisonnement nouveaux et spécifiques à la discipline à la nécessité d’une juridiction dédiée), soit, pour Chazal, il s’agit d’analyser la possible branche du droit selon une série de critères cumulatifs.
Ces critères concernent successivement les sujets du droit étudié, sa codification, sa spécificité, sa finalité et son objet, formant un faisceau plus ou moins fort indiquant la maturité et l’autonomie du champ concerné.
L’analyse plus détaillée peut être trouvée dans un article publié en 2018 en langue anglaise et en accès ouvert qui prolonge le raisonnement de la thèse (The voluminous energy transition legal framework in France and the question of its recognition as a branch of law).
Aujourd’hui, le droit de la transition énergétique répond t-il à ces critères ?
Seulement de manière partielle. Que l’on prenne les critères cumulatifs de Chazal ou la gradation de critères des quatre autres auteurs, certains éléments, telle la création d’un corpus juridique dédié, vont dans ce sens, mais de nombreux autres manquent encore.
Au final, s’il semble par trop audacieux de clamer l’existence d’un droit de la transition énergétique per se, il paraît possible de le considérer comme une sous-discipline du droit de l’énergie et de celui de l’environnement.
Cependant, vu que la transition énergétique ne fait que commencer et qu’elle va encore nécessiter de nombreux ajustement juridiques, il n’est pas impossible que nous voyions fleurir les cours et manuels de droit de la transition énergétique à l’avenir.
Pour lire d'autres interviews d'auteurs de l'ouvrage Droits en mutation II, cliquez ici : https://blog.predictice.com/droits-en-mutation-ii-docteurs-en-droit.
Diplômée en droit, Julia est en charge de la formation et de l'accompagnement des utilisateurs de Predictice.