Hubert Allemand, directeur général du GIE Civis et président du Groupement des sociétés de Protection juridique, dévoile les stratégies de ce secteur à l'heure de l'open data des décisions de justice.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots s’il vous plaît ?
Directeur général du GIE Civis, et président du Groupement des Sociétés de Protection Juridique, j’ai débuté sur le marché de l’assurance de protection juridique en 1983, après l’obtention du diplôme de l’Institut des assurances de Lyon. Au sein de Civis, j’ai occupé pendant plusieurs années la fonction de directeur, avant d’être nommé Directeur Général.
Je suis également auteur auprès du Lamy assurances, pour le chapitre consacré à l’assurance de protection juridique.
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Le GIE que vous dirigez a une position particulière sur le marché. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Civis a effectivement un positionnement particulier, étant le seul GIE inter-sociétés pour l’assurance de protection juridique. Constitué en 1981, Civis apporte un savoir faire global dans l’assurance de protection juridique à ses sociétés d’assurances partenaires : conception des produits, suivi technique, réserves et provisions techniques, ainsi que gestion des prestations aux bénéficiaires. Nos équipes de juristes délivrent ainsi les informations juridiques par téléphone et gèrent les dossiers de litiges des assurés.
L’intérêt du GIE, c’est d’intervenir en garantissant à ses sociétés d’assurance adhérentes une pleine conformité aux exigences règlementaires, à Solvabilité II, et en matière de sécurité des données. L’avantage est également économique car le GIE fonctionne à l’égard de ses adhérents à prix coûtant, ces derniers conservant l’intégralité de leur chiffre d’affaires protection juridique. Notre relation n'est donc pas une relation commerciale ; nous sommes dans une démarche commune de qualité de service et de performance économique.
Aujourd’hui, nous comptons 28 sociétés d’assurances adhérentes, qui sont des acteurs positionnés de façon diverse, avec des sociétés à réseaux d’agents généraux ou de courtiers, dont certaines nous font intervenir non pas sous la marque Civis mais en marque blanche, des sociétés d’assurance mutuelles professionnelles ou régionales, et enfin des sociétés d’assurances qui interviennent sur le marché des risques industriels et d’entreprise.
En volume d’affaires, nous délivrons annuellement 135 000 informations juridiques par téléphone, 40 000 informations par la voie digitale, et gérons 36 000 nouvelles déclarations de litige. Le stock d’encours des dossiers est de 39 000 environ.
Nos collaborateurs sont pour l’essentiel des juristes, pour la plupart diplômés d'un Master 2 : 28 qui interviennent sur l’activité d’information juridique par téléphone, et 74 sur la gestion de litiges.
Le GIE Civis est doté de Predictice depuis un an. Voyez-vous l’adoption d’outils d’analyse statistique comme une nécessité pour les assureurs de protection juridique aujourd’hui ?
Il est certain que nous avons inscrit nos actions dans le cadre d’une démarche de digitalisation afin de fluidifier nos gestions et la relation avec nos clients. La première étape a été la dématérialisation, avec la gestion électronique de document (GED). Avec cette GED, Civis fut précurseur en matière de télétravail, puisque nous l’avons mis en place il y a 17 ans déjà ! En 2015 nous avons mis en place une base d'informations juridiques digitale très complète, qui répond aux préoccupations de nos assurés, particuliers et professionnels : elle comprend aujourd’hui 1000 questions-réponses, 150 lettres-type téléchargeables, des liens vers des formulaires Cerfa, etc. Cet outil permet d’être réactif et à l’écoute des interrogations. Ainsi, dès le 1er avril 2020, nous y avons intégré un onglet spécial Covid-19, accompagné d’une veille juridique dédiée.
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Nous avons également mis en place depuis plusieurs années des espaces dédiés pour les assurés, les intermédiaires et les mandataires, ainsi que la e-déclaration de sinistre, qui connaît une progression significative.
Enfin, nous avons considéré qu’il était nécessaire d’étoffer notre panoplie d’outils et Predictice nous est apparu comme un complément opportun pour répondre aux attentes de nos clients, qui veulent une approche pragmatique et pratique du droit.
L’essence de notre métier c’est de mettre le droit à la portée de nos assurés. La mission du juriste de protection juridique, c’est d’informer, d’orienter, de rassurer, en apportant une solution au problème de l’assuré.
Pour cela, il est essentiel de disposer d’outils efficaces. Grâce à sa large base de données et l’ergonomie de sa plateforme, Predictice nous est apparu comme un plus important, qui permet d’apporter de l’information au client sur son cas d’espèce ; les rapports d’analyse nous sont très utiles pour étayer l’argumentation de nos juristes, et donner une information documentée sur la jurisprudence de la Cour de cassation et des juridictions du fond à nos assurés. Predictice est ainsi une aide pour optimiser le règlement des dossiers : pour envisager un règlement amiable transactionnel, il faut que l’assuré ait la conviction qu’il accepte un accord en connaissance de cause, averti des avantages et des inconvénients de l’accord.
Dans notre service spécialisé « recours corporel », l’outil Predictice est particulièrement utile pour nos juristes. Ainsi, dans le cadre d'un accident de la circulation, lorsque nous recevons l'offre d'indemnisation de l'assureur du tiers responsable, nous sommes en mesure d’en apprécier la pertinence ; lorsque le cas relève du droit commun, nous utilisons Predictice lors du chiffrage des préjudices ; enfin, dans les domaines spécifiques qui relèvent du quotidien, comme les conflits de voisinage, ou le droit de la consommation, la recherche par chef de préjudice permet de trouver les références jurisprudentielles pertinentes. Par exemple, nous pouvons, en matière de consommation automobile, convaincre un assuré qu’il n’y a pas matière à présenter une demande de préjudice moral, en justifiant qu’elle a peu de perspective d’être acceptée par les juridictions.
Nous disposons ainsi, face à un tiers hostile à un règlement amiable et solvable, de solides arguments pour négocier.
Enfin, en cas de dossier faisant l’objet d’un règlement judiciaire, nous communiquons régulièrement aux avocats les informations jurisprudentielles que nous avons collectées dans le cadre de la constitution des dossiers. Ils apprécient toujours ce complément d’informations.
Predictice est un outil précieux aussi bien pour les juristes que pour les clients, qui nous permet d’encourager les règlements amiables, et d’étayer nos conseils et nos choix de stratégie.
Vous êtes président du Groupement des Sociétés de Protection Juridique (GSPJ). Quelle stratégie ce groupement a-t-il décidé d’adopter afin de faire face à l’open data des décisions de justice ?
C’est un sujet que nous suivons avec beaucoup d’attention. Il me semble que dans l’intérêt partagé des entreprises et des assurés, il y aurait un vif intérêt que dans cette mouvance de l’open data, une collecte commune des décisions obtenues pour les assurés soit mise en œuvre. En effet, les problématiques auxquelles nous sommes confrontés sont peu ou prou les mêmes : par exemple, avec la crise de la covid-19, les demandes des assurés ont augmenté pour les questions relatives aux voyages, ou en droit du travail.
Le GSPJ est très attentif d’une façon générale à l’évolution des métiers du droit. L’assurance de protection juridique répond à un besoin de protection de « bon père de famille », l’assuré souscrivant son contrat afin de protéger sa famille, et le produit demeure, pour l’essentiel, distribué de manière traditionnelle, avec une gestion des prestations à très forte connotation humaine. Les legaltechs, en revanche, sont des entreprises de service, qui fonctionnent à la prestation, essentiellement digitalisée, et répondent à des logiques d’achat de besoins immédiats, même si certaines réfléchissent à des formules du type abonnement. Il appartient donc à chaque société de protection juridique de déterminer avec lesquelles il convient d’initier des partenariats afin de répondre aux besoins des assurés. Un modèle qui négligerait d’être attentif à l’apparition des nouvelles technologies deviendrait rapidement dépassé. D’où l’importance pour nos entreprises d’accomplir cette révolution digitale, dans laquelle Predictice s’inscrit.
En partenariat avec l’université Toulouse-I-Capitole, Civis est en train de créer un diplôme universitaire (DU) sur le règlement des différends et les solutions d’assurance. Vous avez demandé à Predictice d’intervenir dans le cadre de son Programme pour l’Enseignement et la Recherche. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’assurance de protection juridique a encore des taux de pénétration et de notoriété assez faibles au regard de son utilité sociale et de ses métiers. Ce DU a pour objectif de bien la situer dans l’environnement du règlement des différends, et particulièrement du règlement amiable, afin de contribuer à sa connaissance, et à sa reconnaissance, auprès du public des futurs étudiants.
De plus, les juristes de protection juridique constituent un métier à part dans le monde de l’assurance. Ils sont soumis à une réglementation spécifique, et doivent conjuguer compétence technique, sens de la relation client, et goût de la négociation. C’est pour ces raisons que la création de ce DU, qui, notamment, illustrera leur métier, nous est apparue utile.
En outre, il nous a semblé important d’impliquer les legaltechs. C’est pourquoi Predictice a été associée à un des modules.
Actuellement, un groupe travaille sur ce DU au sein du Groupement des Sociétés de Protection Juridique, afin d’aboutir à un projet commun, pour que tous les adhérents du GSPJ soient acteurs de ce DU. Nous sommes très confiants sur son aboutissement.
Un mot pour la fin ?
La loi du 23 mars 2019 prévoit pour le règlement des petits litiges du quotidien le recours à un mode alternatif de règlement (MARD) avant la saisine du tribunal judiciaire, en cas d’échec des pourparlers amiables. Par conséquent, être bien informés et maitriser les délais de résolution de ces MARD est pour nous une nécessité afin de proposer à l'assuré la solution la plus adaptée et efficace : lorsque vous avez accompagné l’assuré dans une tentative de résolution amiable qui ne s'est pas concrétisée, et que vous devez aborder avec lui une nouvelle période constituée par le MARD avant tout procès, cela représente un risque de délai important. Cela n'est pas, a priori, satisfaisant, sauf si le MARD se révèle efficace.
Sur ce plan, notre inquiétude initiale à l’égard de la conciliation semble se confirmer, en termes de délais, voire même d’acceptation des dossiers, excepté concernant les litiges en matière de voisinage.
Par conséquent, les sociétés de protection juridique doivent rester attentives et repenser leurs modes de fonctionnement à l’amiable, afin de demeurer performantes et efficaces. À nous d’être imaginatifs pour repenser les temps de telle ou telle phase de notre gestion.
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.