E-sport : quel statut juridique et social pour ses pratiquants ?

28 décembre 2020

6 min

E sport
Alors que l'e-sport (ou sport électronique) est une activité en plein essor, la non-reconnaissance de cette activité comme un sport par la loi pose un certain nombre de difficultés.

L’e-sport, pour electronic sport ou sport électronique, se définit selon l’article L. 321-8 du Code de la sécurité intérieure comme « une compétition de jeux vidéo confront[ant], à partir d'un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire ».

 

En l’espace d’une décennie, nous sommes passés d’une scène souterraine et désorganisée, se tenant dans des locaux ne rassemblant tout au plus qu’une centaine de fidèles, à une scène mondialement reconnue, remplissant stades et salles de concert et s’unissant de concorde avec des millions de téléspectateurs pour suivre ces confrontations et y réagir en direct sur des plateformes de diffusion telle que Twitch, la plus célèbre à l’heure actuelle.

 

L’essor de cette scène s’est accompagné de sa structuration. Pour ce faire, le modèle de l’e-sport s’est fortement inspiré du modèle existant dans le milieu sportif conventionnel. Des équipes sont nées afin d’encadrer les jeunes prodiges, des structures se sont développées et des marques s’en sont emparées.

 

Pour autant, l’e-sport n’est pas, à proprement parler, un sport. Du moins, pour l’instant. À ce titre, est sport ce que dit la loi, et il n’est pas anodin que la règlementation afférente se trouve dans… le Code de la sécurité intérieure, traitant notamment des règles propres à la police municipale ou encore aux services de renseignement.

 

Est généralement qualifiée de sportive une « activité physique compétitive dont le résultat est déterminé par les performances physiques des concurrents ». C’est à cet égard que le bât blesse. Pour les réfractaires à une telle reconnaissance, c’est cette « insuffisance d’activité physique » qui enlève à l’e-sport sa qualification de sport à proprement parler. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le jeu d’échec dispose de sa propre fédération agrémentée par le ministère de la jeunesse et des sports depuis le 19 janvier 2000.

 

Il demeure que les pratiquants de l’e-sport ne sont pas des sportifs au regard de la loi. Il n’est pas question en l’espèce de débattre sur le bien-fondé d’une telle reconnaissance ou non, mais de s’intéresser aux conséquences que cette reconnaissance a, et n’a pas, sur lesdits pratiquants.

 

Il conviendra alors de s’intéresser à ce qui était (I), pour déterminer ce qui est (II) et prévoir ce qui sera (III).

 

 

I. Avant la loi pour une République numérique : un cadre normatif inexistant

Auparavant, en l’absence d’un cadre normatif clair, l’e-sportif ne pouvait être considéré autrement que comme un travailleur indépendant. De ce fait, celui-ci recourait soit au régime de l’auto-entrepreneur, soit au régime sociétal, via la création d’une SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle).

 

Dans le cadre de l’auto-entrepreneuriat, il pouvait être intéressant de s’y affilier puisque les avantages ne sont pas des moindres, notamment pour le public visé qui est majoritairement jeune. En outre, un simple formulaire suffit à déclarer son activité, la comptabilité est dégrevée, le régime social est favorable et les avantages fiscaux sont nombreux.

 

Ceci étant dit, les inconvénients ne sont pas négligeables : d’une part, il est obligatoire de s’affilier au régime social des indépendants ; d’autre part, ce statut entraîne une responsabilité illimitée ce qui, dans notre cas, n’est pas un inconvénient mineur puisque, rappelons-le, le public visé est très jeune et n'a donc, a priori, qu’un patrimoine limité.

 

Il est également possible de recourir au régime sociétal. Ce choix est imposé à l’auto-entrepreneur lorsque son chiffre d’affaires annuel est supérieur à 33.100 euros.

 

En ce qui concerne ses avantages, la SASU octroie, de manière non-exhaustive, une très grande liberté contractuelle, ainsi que la possibilité d’opter pour le régime de l’imposition des bénéfices non commerciaux (BNC) donc à l’impôt sur le revenu (IR) ou de l’imposition sur les sociétés (IS). Néanmoins, pour en revenir à la liberté contractuelle, celle-ci constitue également un inconvénient majeur dans la mesure où la rédaction des statuts est malaisée.

 

Cependant, et ce n’est pas sans rappeler les événements récents, le régime de l’auto-entrepreneuriat peut amener à une tentative de requalification en contrat de travail à l’égard du donneur d’ordre si les conditions sont réunies : une prestation de travail, un lien de subordination juridique et une rémunération en contrepartie.

 

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Le statut salarié pouvait donc s’avérer être une option. Cependant les choix à disposition de l’e-sportif étaient bien maigres.

 

Tout d’abord, l’intermittence du spectacle ne pouvait s’accorder avec la fonction de l’e-sportif, son travail étant continu ; il en va de-même avec le travail saisonnier. Pour ces deux premiers régimes, le risque de voir la relation requalifiée en un contrat à durée déterminée (CDD) n'est pas négligeable.

 

En ce qui concerne le CDI, celui-ci semble également inadapté puisque les règles de rupture dudit contrat ne correspondent pas à la pratique e-sportive, notamment en ce qui concerne son mercato, mais également en raison du fait que la majorité de ces contrats ne sont pas conclus pour une durée longue.

 

La dernière option, le contrat à durée déterminée (CDD), est également inadaptée. En premier lieu, les demandes sur le marché de l’e-sport, notamment en ce qui concerne les remplacements ou encore l’accroissement temporaire de la durée du travail, sont inadaptées eu égard aux conditions requises par un CDD. De plus, les CDD spécifiques aux sportifs conventionnels, définis à l’article D. 1242-1 du Code du travail, ne seraient pas applicables non plus en ce que les e-sportifs ne sont pas considérés comme des sportifs conventionnels (cf. supra).

 

Finalement, aucun des régimes susvisés ne permettait un réel encadrement, tant juridique que social, des e-sportifs. C’est pour cela que la loi est venue, au moins partiellement, combler ces lacunes au travers de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

 

 

II. La loi pour une République numérique : un cadre normatif lacunaire

Les e-sportifs ne sont toujours pas des sportifs au regard de la loi mais peuvent désormais être des « joueurs professionnels salariés », entendus comme « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ».

 

À ce titre, la loi a créé un nouveau CDD dérogatoire du droit commun. À l’image des articles L. 222-2 à L. 222-6 du Code du sport, l’article 102 de la loi poursuit en introduisant un CDD spécifique en ce qu’il :

 

  • ne peut être d’une durée inférieure à celle d’une saison de jeu vidéo compétitif, soit douze mois, sauf exceptions, et ne pouvant excéder cinq ans, sauf renouvellement (aucune limite n’est fixée quant au nombre de renouvellements) ;
  • prévoit des mentions obligatoires et interdites (à titre d’exemple, il est proscrit de prévoir pour l’un des cocontractants la possibilité de rompre le CDD) ;
  • prévoit des dispositions particulières quant aux mineurs, très présents sur cette scène ; et
  • prévoit une sanction à ce formalisme, à savoir la requalification en un CDI.

 

Il était en effet nécessaire de prévoir un tel cadre pour diverses raisons. D’une part, il répond un peu plus aux exigences des structures e-sportives qui, rappelons-le, fonctionnent sur le système des structures sportives classiques. D’autre part, concernant la durée, il permet au contrat d’être conclu en cours de saison, et peut même être conclu pour une durée inférieure à l’année initialement prévue afin de se prémunir de l’aléa inhérent à la pratique (suspension, absence, blessure, etc.).

 

En ce qui concerne l’agrément, la structure souhaitant en bénéficier doit décrire les conditions d’emploi des joueurs, notamment :

 

  • leurs entraînements ;
  • leurs formations ;
  • leur encadrement physique et mental ; et
  • les moyens mis en œuvre pour pallier les risques de la pratique.

 

Le texte indique clairement qu’il ne s’agit là que d’une faculté et non d’une obligation. En outre, un joueur professionnel peut ne pas souhaiter être salarié. Ceci dit, il se verra dans l’obligation de constituer une société ou d’opter pour le régime de l’auto-entrepreneur s’il veut récolter les gains obtenus lors des compétitions, plus communément appelés cash-prizes. Le choix aura alors un impact essentiellement fiscal.

 

Au travers de ces développements, nous nous rendons compte que le cadre juridique et social demeure nébuleux et tout à fait perfectible. Il conviendra ainsi, lors d’un troisième et dernier point, d’établir les fondations des chantiers à venir, afin que tout un chacun soit en mesure de prévoir au mieux son avenir au sein d’une scène particulièrement changeante et en extraordinaire évolution ces dernières années.

 

 

III. La loi pour une République numérique : un cadre normatif perfectible

Une scène jeune est nécessairement un terrain fécond à des problématiques juridiques inédites et enrichissantes. Une scène jeune, certes, mais avec un intérêt économique non négligeable.

 

À titre d’exemple, ces deux dernières années ont été rythmées par le phénomène du jeu vidéo Fortnite, battle royale (BR) compétitif où cent joueurs s’affrontent, seuls ou en équipe, sur une carte unique et dont un seul peut ressortir vainqueur. L’année dernière, la première coupe du monde fut organisée avec un cash-prize total de 100.000.000 de dollars. Le vainqueur solo remportait, à lui seul, près de 3.000.000 de dollars, sans compter le million de dollars mis en jeu chaque semaine de qualifications, se tenant pour celles-ci en ligne.

 

Les enjeux sont donc colossaux. Pour autant, comme mentionné précédemment, le cadre demeure bien imparfait.

 

Tout d’abord, concernant le CDD e-sport, celui-ci n’encadre que la relation joueur/structure. De plus, il induit nécessairement une relation salariée qui demeure très rigoureuse et particulièrement rigide, ce qui ne fait pas nécessairement bon ménage avec la pratique e-sportive. L’agrément, quant à lui, implique une demande auprès du ministère chargé du numérique, et outre l’obstacle administratif, cet agrément doit être renouvelé tous les trois ans. Enfin, le CDD ne semble une faculté qu’à l’égard des joueurs professionnels salariés, mais il ne structure nullement les joueurs non-professionnels ou non-salariés, et il ne structure pas non plus les structures ne disposant pas de l’agrément.

 

Autant de vides qui mériteraient d’être comblés.

 

Plus généralement, aucun contrat n’est, pour ainsi dire, adapté à la pratique de l’e-sport.

 

Enfin, les compétitions en ligne sont un point non-réglementé par la loi, ce qui est particulièrement dérangeant dans la pratique e-sportive. En effet, elles sont récurrentes, bien plus que les compétitions classiques, et ont un enjeu financier tout aussi important. Le législateur doit donc apporter un soin particulier à la rédaction de ces textes, susceptibles de s’appliquer à grand nombre de joueurs, notamment mineurs, à travers toute la France, et ce très régulièrement.

 

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Cédric Dubucq

Cédric Dubucq est avocat fondateur du cabinet BRUZZO DUBUCQ et spécialiste en Droit commercial et des affaires, ancien secrétaire de la conférence du stage et chargé d'enseignement au sein de la Faculté de Droit d’Aix Marseille. Acteur reconnu du secteur de la blockchain, il accompagne ses clients (dirigeants, PME/ETI/États) également en restructuring et en contentieux commercial.

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