L’essor du NewSpace fait apparaître de nouvelles questions juridiques. Dans cet article, Cécile Gaubert partage ses observations sur le cadre juridique et contractuel qui encadre ces activités.
Le « NewSpace » est une appellation générique qui regroupe différentes activités spatiales qui ont en commun de développer l’accès à l’espace et le recours aux services satellitaires à un coût inférieur à celui pratiqué aujourd’hui par les institutions et les entreprises spatiales traditionnelles. Le NewSpace c’est également le développement de nouvelles activités autres que les activités classiques telles que les télécommunications, le positionnement par satellite ou l’observation de la terre et de l’espace. Ainsi, le NewSpace inclut le déploiement de nano-satellites, de constellations de satellites, l’accès à l’espace y compris dans des zones suborbitales à des fins touristiques ou de transport ou encore des services en orbite fournis par des satellites proposant une assistance à d’autres satellites dans l’espace, incluant le “nettoyage” en orbite.
Historiquement, les activités spatiales sont régies par cinq traités internationaux. L’objectif de ces traités était de réglementer les activités spatiales des États et non des entités privées. Cependant, la montée en puissance des activités privées depuis les années 1980 a conduit les États à légiférer spécifiquement sur les activités spatiales de leurs ressortissants.
L’essor du NewSpace, nous amène aujourd’hui à nous interroger sur le cadre juridique (international et national) et contractuel pour encadrer ces nouvelles activités.
I. Faut-il adapter les réglementations « spatiales » aux activités de NewSpace ?
Le cadre réglementaire des activités spatiales est à double niveau. Au premier niveau, on trouve les cinq traités, conventions et accords qui s’appliquent à toutes les activités spatiales, et ce quelle que soit leur mission. Les États signataires des traités sont soumis notamment aux obligations de contrôle, de juridiction, et assument également la responsabilité internationale et notamment celle des activités de NewSpace menées dans l’espace par les entités privées. Il appartient donc aux Etats signataires des traités internationaux de s’assurer que les activités de NewSpace sont exercées conformément aux règles et obligations posées par la réglementation internationale.
Au second niveau, se trouvent les réglementations nationales. En effet, depuis une quarantaine d’années, certains États menant des activités spatiales (de lancement et/ou d’opérations en orbite) et plus rarement certains n’en menant pas, ont légiféré afin d’encadrer les activités spatiales privées entraînant leur responsabilité au titre de la réglementation internationale. La France, s’est ainsi dotée d’une loi sur les opérations spatiales en 2008 qui met en place notamment une procédure d’obtention d’une autorisation pour pouvoir effectuer des activités spatiales, sous peine de sanctions. D’autres Etats ont également légiféré comme les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni. A noter, toutefois, que ces législations ne prennent que partiellement les activités de NewSpace. Il appartiendra donc à l’opérateur de NewSpace d’obtenir l’autorisation ou la licence de l’autorité de contrôle et de répondre aux exigences fixées par la réglementation applicable. Encore faut-il que la réglementation nationale soit adaptée aux missions de NewSpace. Ainsi, la question se pose avec acuité de savoir comment régir certaines missions qui ne sont pas spécifiquement mentionnées dans le champ d’application des lois.
Il y a aujourd’hui différentes initiatives qui proposent aussi bien des modifications au niveau réglementaire, afin de faire évoluer la réglementation nationale aux besoins des activités de NewSpace, que des propositions de réglementations ou guidelines spécifiques aux activités de NewSpace. Cela est notamment le cas en France où le CNES est en cours de préparation de mise à jour de la réglementation technique ou encore en Europe avec le projet européen PERASPERA (Plan European Roadmap and Activities for Space Exploitation of Robotics and Autonomy). Dans le cadre de ce plan, la commission européenne a créé le “Space Robotics Technologies” Strategic Research Cluster (SRC), avec comme objectif d’améliorer la compétitivité européenne dans le secteur des technologies spatiales en créant des outils permettant d’assurer et consolider la maturité des technologies de maintenance en orbite et d’exploration spatiale. L’un de ces outils est la création de guidelines (principes non contraignants) spécifiquement dédiés aux problématiques juridiques aussi bien concernant l’immatriculation, la responsabilité ou encore le degré de transparence des activités.
Ainsi, le cadre juridique international et national ne régit pas intégralement les activités de New Space, laissant certaines zones dans l’ombre. C’est pourquoi, et dans l’attente de réglementation ou guidelines spécifiquement dédiées à ces activités, il est nécessaire de porter une attention particulière aux contrats passés par les opérateurs spatiaux.
II. Les Contrats spatiaux, mélange de standardisation et d’innovation
Depuis les années 80 et l’essor des activités privées et commerciales spatiales, nous avons vu la mise en place de contrats spatiaux relatifs aussi bien à la fabrication de lanceurs et de satellites, au lancement d’objets spatiaux dans l’espace, aux opérations en orbite, à l’utilisation des satellites. La structure des contrats spatiaux a été empruntée à des contrats « terrestre », afin d’utiliser un cadre connu et de l’adapter aux spécificités des missions spatiales. Les contrats spatiaux comportent donc des dispositions que l’on retrouve dans tout contrat, telles que, notamment, les dispositions relatives à l’objet du contrat, le droit applicable, les obligations des parties, la résiliation etc… En revanche, certaines clauses sont spécifiques à l’activité objet du contrat, telles que les définitions, les sanctions en cas de non-respect des obligations, l’allocation des responsabilités…
Un des sujets à analyser concernant les contrats relatifs aux activités de NewSpace est celui du régime de responsabilité, aussi bien contractuel que délictuel.
Au regard de la responsabilité contractuelle, sous réserve du droit applicable au contrat, les parties peuvent allouer les responsabilités entre elles. Ainsi, les parties peuvent prévoir qu’elles restent responsables des dommages qu’elles causent à l’autre partie ou qu’elles renoncent à l’avance, en tout ou en partie, à leurs droits de recours contre l’autre partie, en utilisant des clauses de « renonciation au recours » et/ou de « pacte de garantie ». Par le biais de ces clauses, les parties contractantes évitent tout recours entre elles et peuvent aussi répartir à l’avance les responsabilités pour les dommages causés à des tiers. Ces clauses peuvent être rédigées de manière réciproque et sont généralement complétées par une obligation de les dupliquer aux sous-traitants, qui seront par conséquent tenus par une telle allocation de la responsabilité.
Certaines lois spatiales nationales ont spécifiquement rendu obligatoires les clauses susmentionnées, telles que le Commercial Space Launch Act (CSLA) des États-Unis, qui est la première réglementation spatiale nationale à avoir imposé une obligation de renonciation à recours réciproque entre les participants à l’opération de lancement ou de rentrée, y compris le client ou le fournisseur de lancement. Cette renonciation à recours réciproque est assortie d’une renonciation accordée par le secrétaire aux Transports pour les dommages subis par le gouvernement américain et résultant d’une activité exercée par un opérateur spatial bénéficiant d’une licence de l’Etat américain. La loi française sur les opérations spatiales (LOS), qui établit le cadre juridique des activités spatiales exercées par des personnes physiques ou morales françaises ou pour des lancements effectués depuis le sol français, prévoit aussi des dispositions relatives aux clauses contractuelles. Ainsi, dans ses articles 19 et 20, la LOS a spécifiquement validé les clauses de renonciation à recours croisée et de pacte de garantie que l’on trouve dans les contrats de services de lancement. Ces clauses peuvent être rédigées de manière différente dans les contrats, mais elles ont le même objectif : interdire les renonciations à recours entre les participants à un lancement. En revanche, ce type d’allocation de responsabilité n’est pas systématique dans les contrats de fabrication (y compris contrats de sous-traitance) ou d’opération de satellite. C’est pourquoi, la LOS précise que pour ce type de contrat, il est possible de déroger au principe de renonciation à recours entre les parties, mais uniquement de manière expresse, c’est-à-dire, que la dérogation doit être prévue dans le contrat.
Pour ce qui est du cas particulier des services en orbite, les parties à un contrat de service en orbite, c’est-à-dire l’opérateur de satellite de service et l’opérateur de satellite client, peuvent donc valablement prévoir des clauses d’allocation de responsabilité selon lesquelles chaque partie est responsable des dommages causés par ses actes ou omissions ou prévoir des limitations de responsabilité. Pour soutenir le développement des missions de service en orbite et pour prendre en compte l’environnement spatial dans lequel ces missions seront effectuées, il serait souhaitable de prévoir des limites, voire des exonérations de responsabilités entre les parties.
Au niveau délictuel, il nous faut d’abord rappeler qu’au titre du droit international, les États sont responsables des dommages causés aux tiers du fait d’une activité spatiale relevant de la responsabilité de ces États. Pour mémoire, cette responsabilité est à double niveau, nous sommes en présence d’une responsabilité sans faute pour les dommages causés au sol ou dans l’espace aérien et d’une responsabilité pour faute pour les dommages causés dans l’espace. A noter également que le tiers victime peut réclamer envers le ou les Etat(s) de lancement responsable(s) au titre de la réglementation internationale ou envers l’entité privée au titre du droit national applicable. S’il est entendu que la responsabilité vis-à-vis des tiers ne peut être limitée contractuellement, une répartition entre deux parties contractantes telles que par exemple, l’agence de lancement et l’opérateur de satellite, peut être mise en place. Cette répartition peut se faire au moyen d’une clause d’exonération, de partage ou de répartition de la responsabilité. En vertu de cette clause, les deux parties conviennent de tenir l’une d’entre elles responsable des dommages causés à des tiers.
Les contrats peuvent ainsi prévoir des clauses de pacte de garantie, selon lesquelles un cocontractant garantit l’autre contre les mises en cause de responsabilité que celui-ci peut encourir si la mission cause un dommage à un tiers. Dans le cadre des missions de service en orbite, ces risques de dommages posent la question de l’évaluation de la responsabilité entre l’opérateur du satellite de service et l’opérateur client. Ainsi, il s’agira d’une part de déterminer le responsable au titre de la loi applicable à l’activité spatiale et/ou de la loi applicable au contrat et d’autre part de connaître les allocations contractuelles entre l’opérateur de service et son client. En cas de mission nécessitant un amarrage du satellite de service au satellite client, la question de la responsabilité est aisée à appréhender lorsque le satellite de service n’est pas encore amarré au satellite du client, ou après l’exécution de la mission. Dans ce cas, l’opérateur de service et l’opérateur client seront tenus respectivement responsables envers des tiers conformément aux dispositions de la loi qui leur est applicable. Toutefois, la question est plus épineuse lorsque le satellite de service est amarré au satellite client, pour un positionnement en orbite ou pour une mission de ravitaillement. Dans ce cas, il peut être prévu contractuellement un partage de responsabilité entre l’opérateur du satellite de service et l’opérateur client. Si le satellite du client est entièrement contrôlé par le satellite de service, il est fort probable que l’opérateur du satellite de service sera tenu responsable de tout dommage causé à des tiers, sauf à pouvoir démontrer que le dommage résulte d’un problème lié au satellite client, avec toute la difficulté liée à la détermination de la responsabilité.
Une attention particulière devra donc être accordée à la répartition des responsabilités et sa validité devra être analysée à la lumière du droit applicable au contrat, mais également à l’opération spatiale envisagée.
III. Comment déterminer l’atteinte des performances ?
Un des sujets cruciaux dans le cadre des activités de service en orbite est celui de l’atteinte des performances au titre du contrat de services en orbite. En effet, le succès de la mission sera analysé à l’aune du respect des performances, telles que déterminées dans le contrat.
Il est important de souligner ici que le recours à la notion d’obligation de moyen, à l’instar des contrats de services de lancement, plutôt qu’une obligation de résultat permettrait de soutenir le développement des activités de services en orbite. En effet, l’obligation de moyen est l’obligation selon laquelle le débiteur s’engage à faire son possible pour atteindre les objectifs fixés dans le contrat, sans s’engager sur l’atteinte du résultat, qui relève d’une obligation de résultat. Le recours à ce type d’obligation permettrait de sécuriser le développement des activités de services en orbite et de partager les risques entre les parties à un contrat.
D’autres moyens contractuels peuvent être utilisés pour déterminer à l’avance les conséquences de la non-exécution ou de la mauvaise exécution de la mission du satellite de service. Les parties peuvent s’entendre pour décider à l’avance du non-paiement partiel ou total du prix du contrat ou prévoir une clause de pénalité ou des « liquidated damages ». Par le biais de ces clauses, les parties fixent à l’avance et de manière contractuelle les milestones de performance attendue et en cas de non atteinte, le montant des pénalités ou liquidated damages dus par la partie n’ayant pas atteint les objectifs contractuels. Ces mécanismes permettent d’éviter le recours à des règlements de litiges devant les tribunaux.
D’autres clauses telles que des clauses de performance ou des « incentives » peuvent également être incluses. Les contrats de fabrication de satellites prévoient parfois que l’acheteur paie au fabricant des montants basés sur les performances orbitales à la fin d’une certaine période spécifiée après les essais en orbite, le montant étant ajusté en fonction des performances du satellite. Le mécanisme est différent de celui de la clause de pénalité ou de liquidated damages puisque dans ce cas, l’acheteur s’engage à payer un complément si les performances contractuellement spécifiées sont atteintes.
Ces clauses permettant de sanctionner l’absence ou de rétribuer l’atteinte des performances pourraient être dupliquées dans les contrats liés au NewSpace et notamment dans les contrats de service en orbite. Mais, il faut ici garder en mémoire que ces activités sont émergentes et que, tout au moins dans un premier temps, il serait préférable, pour favoriser le développement de ces missions, de prévoir des clauses peu contraignantes.
Par conséquent, nous constatons qu’il y a plusieurs moyens contractuels d’encadrer la responsabilité des opérateurs de NewSpace, mais cette responsabilité contractuelle doit tenir compte non seulement des spécificités techniques et de l’objectif de chaque mission, mais également du caractère émergent de ces nouvelles missions, qui demandent un traitement particulier, comme cela fut le cas dans les premières années du transport commercial aérien.
IV. Nouvelles activités, nouveaux risques
Les activités de NewSpace impliquent de nouveaux risques par rapport aux missions spatiales traditionnelles, qui devront être pris en compte par le marché de l’assurance pour adapter en conséquence les contrats d’assurance. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure ces nouveaux risques peuvent faire l’objet d’un transfert sur le marché de l’assurance. Ce transfert permettrait de limiter l’exposition des acteurs de NewSpace et de leur apporter une certaine protection.
Au titre de ces nouveaux risques, le plus évident est celui où le service en orbite nécessite l’amarrage de deux satellites. Cet amarrage concernera un satellite effectuant le service requis, c’est-à-dire le ravitaillement ou le repositionnement ou autre, et l’autre faisant l’objet du service. Il implique donc un contact physique entre les satellites. Dans ce cas, le satellite de service peut causer des dommages physiques au satellite faisant l’objet du service. Dans cette hypothèse, l’exploitant du satellite sur lequel le service est effectué et qui est endommagé en raison du service peut souhaiter demander une indemnisation à l’exploitant du satellite de service pour ses dommages. La question est de savoir si le marché de l’assurance serait enclin à couvrir les satellites amarrés. Si les assurés et les assureurs s’entendent sur des formules de perte pour évaluer le montant et le fondement de la perte, ce type de garantie pourrait être envisagée. Attention toutefois à bien garder en mémoire qu’il sera difficile d’assurer les premières missions, les assureurs ayant peu de recul sur cette activité.
Ces assurances devront être analysées à la lumière des possibilités de recours contractuellement prévues par les parties au contrat pour les services en orbite.
En cas de dommages causés à des tiers, l’assurance de responsabilité civile spatiale souscrite par l’opérateur du satellite fournissant le service, voire celle souscrite par le client, est destinée à couvrir les conséquences financières des actions en responsabilité civile en cas de dommages matériels, corporels et immatériels consécutifs causés à des tiers. L’assurance de responsabilité civile spatiale traditionnelle offre une couverture pour les missions en orbite, mais il y a des questions cruciales qui devront être résolues non seulement par les dispositions d’assurance, mais aussi par la réglementation, que sont notamment l’identification d’un opérateur responsable, mais aussi l’évaluation de la faute, si le dommage se produit dans l’espace. On pourrait d’ailleurs envisager que l’assurance fonctionne sans rechercher la responsabilité de l’un ou l’autre de l’opérateur de service ou du client, notamment en appliquant les clauses d’assurance additionnelle, bien connues en assurance de responsabilité spatiale.
Ainsi, concernant la gestion des risques du NewSpace par les assurances, la question est principalement de savoir si le marché de l’assurance est suffisamment innovant aujourd’hui pour couvrir les risques associés à ces missions.
Pour conclure, le développement des activités de NewSpace et plus particulièrement de services en orbite passe par une bonne gestion des risques contractuels. Ainsi, le contenu des contrats commerciaux doit être revu avec attention en adaptant les mécanismes contractuels existants ou en créant de nouveaux cadres contractuels, spécifiquement adaptés à ces missions.
Des incitations étatiques peuvent être envisagées par la mise en place d’un encadrement réglementaire permettant de limiter l’exposition des acteurs de NewSpace, en proposant des mécanismes de limitation de responsabilité ou une garantie de l’Etat en cas de dommage entre satellites et aux tiers pour les activités de services en orbite. Ainsi, une telle garantie des États délivrant l’autorisation contribuerait à soutenir le développement de missions de service en orbite, en réduisant l’exposition des opérateurs ainsi que de leurs assureurs.
Mais, dans tous les cas, l’assurance de responsabilité civile devra être abordable pour chaque mission, adaptée à chaque mission et la prime devra être évaluée en fonction du service et non de la taille du satellite en jeu. Pour permettre au marché de l’assurance de proposer des solutions d’assurance adaptées, la clé importante est la confiance que les assureurs peuvent avoir dans un opérateur et ses missions (d’un point de vue technique, mais pas seulement). Par conséquent, il est crucial pour les opérateurs de services en orbite d’assurer la liaison le plus tôt possible avec le marché de l’assurance afin de donner aux assureurs une compréhension complète de leurs opérations et leur donner de confiance que possible pour leur permettre de proposer ensuite des solutions d’assurance adaptées aux besoins des nouveaux acteurs spatiaux.
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