La Cour de cassation fixe le point de départ du délai de prescription de ces recours au jour de l’assignation en référé expertise. Cette position est source de difficultés et doit évoluer.
La détermination du délai de prescription des actions entre locateurs d’ouvrage et sous-traitants suppose d’identifier les fondements juridiques (I) puis le point de départ de ce délai (II).
I. Les fondements juridiques des actions entre locateurs d’ouvrage et sous-traitants
En droit de la construction, le respect des délais de recours est fondamental pour les praticiens soucieux de veiller à la sauvegarde des intérêts de leurs clients.
Cette problématique est aussi complexe eu égard à la diversité des acteurs au rang desquels figurent :
- Les locateurs d’ouvrage qui sont des constructeurs chargés par le maître de l’ouvrage de concevoir, suivre et/ou exécuter les travaux (art. 1710, 1779 et art. 1792-1 du Code civil) ;
- Les sous-traitants qui interviennent à la demande d’un locateur d’ouvrage pour l’exécution d’une partie du marché de travaux conclu par ce dernier avec le maître d’ouvrage (art. 3.1.12 de la norme AFNOR P3-001).
Sur le fondement des articles 334 et 336 du Code de procédure civile, la jurisprudence reconnaît classiquement à un locateur d’ouvrage ou à un sous-traitant assigné en justice d'en appeler un autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui (Cass. Civ. 3, 10 décembre 2003, n°01-00.614).
Ces appels en garantie correspondent ainsi à des recours récursoires.
La nature récursoire de ces recours subsiste même pour les actions exercées après le prononcé d’une condamnation, la Cour de cassation refusant constamment toute subrogation du constructeur condamné dans les droits du maître d’ouvrage (Cass. Civ. 3, 8 juin 2011, n°09-69.894).
En l’absence de subrogation dans les droits du maître d’ouvrage, les constructeurs ne peuvent pas revendiquer le bénéfice des garanties légales prévues aux articles 1792 et suivants du Code civil.
Dès lors, la Cour de cassation doit être entièrement approuvée lorsqu’elle juge que :
- « Le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n'est pas fondé sur la garantie décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi-délictuelle s'ils ne le sont pas » (Cas. Civ. 3, 8 février 2012, n°11-11.417) ;
- L’article 1792-4-3 du Code civil, prévoyant un délai de dix ans, n’est pas applicable, nonobstant une hésitation après des décisions contraires de juridictions au fond (Voir par exemple CA PARIS, Pôle 4, Ch. 6, 16 novembre 2012, n°11/02657) ;
- Les actions récursoires entre locateurs d’ouvrage et sous-traitants sont soumis aux délais de cinq ans de l’article 2224 du Code civil « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (Cass. Civ. 3, 16 janvier 2020, n°18-25.915 ; Cass. Civ. 3, 1er avril 2021, n°20-14.639).
Si les fondements juridiques de ces recours et ainsi le délai de prescription applicable apparaissent cohérents, la détermination du point de départ soulève des difficultés beaucoup plus compliquées à résoudre.
II. Le point de départ du délai de prescription des actions entre locateurs d’ouvrage et sous-traitants
La détermination du point de départ du délai de prescription des recours entre locateurs d’ouvrage et sous-traitants ne fait pas l’objet d’une solution tranchée.
D’emblée, il faut écarter la date de la réception des travaux comme point de départ en raison de la nature non décennale de ces appels en garantie et de l’absence d’application de l’article 1792-4-3 du Code civil (Cas. Civ. 3, 8 février 2012, n°11-11.417).
L’article 2224 du Code civil ayant vocation à jouer, la difficulté réside dans l’identification de la date à laquelle le locateur d’ouvrage ou le sous-traitant doit être considéré comme ayant connu les faits lui permettant d’exercer ses appels en garantie.
Les juridictions judiciaires et administratives ont, sur ce point, une approche différente.
La Cour de cassation a fixé, de manière répétée, cette date de connaissance des faits au jour de « l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal » (Cass. Civ. 3, 19 mai 2016, n°15-11.355 ; Cass. Civ. 3, 16 janvier 2020, n°18-25.915 ; Cass. Civ. 3, 1er octobre 2020, n°19-13.131 ; CA PARIS, Pôle 4, Ch. 6, 7 janvier 2022, n°21/05266 ; CA DOUAI, Ch. 1, Section 2, 23 juin 2022, n°21/04907).
Dans son rapport annuel de 2020, la Cour de cassation a assumé cette position avec deux arguments principaux :
- L'assignation en référé-expertise délivrée par le maître d'ouvrage à un constructeur met en cause la responsabilité de celui-ci et lui permet donc d’agir aux fins d’appel en garantie ;
- Par analogie, l’assignation en référé expertise constitue déjà le point de départ du délai biennal de l’action de l’assuré contre son assureur sur le fondement de l’alinéa 3 de l’article L. 114-3 du Code des assurances (Cass. Civ. 3, 15 décembre 2010, n°09-17.119).
Les Cours d’appel de RENNES et LYON ont, de leur côté, résumé les premières critiques à l’égard de cette jurisprudence (CA RENNES, 15 janvier 2021, n°20/05170 ; CA LYON, 15 décembre 2021, n°21/04727) :
- « La seule assignation en référé aux fins de désignation d'un expert ne permet pas à un constructeur ou à l'un de ses sous-traitants de savoir qu'il sera appelé en paiement » dans la mesure où, conformément à l’article 145 du Code de procédure civile, elle « a pour objet d’établir les faits et responsabilités avant un éventuel procès » et qu’à ce stade, « la causalité des désordres (n’est) nullement déterminée avec évidence » ;
- « Tant qu’elle n'est pas elle-même appelée en paiement, une partie risque de se voir opposer le défaut d'intérêt à agir si, pour être elle-même garantie, elle assigne une autre partie » ;
- « Il en résulte qu'une partie n'a connaissance de ce que sa responsabilité est mise en cause dans le cadre d'un recours entre constructeurs et sous-traitants qu'à la date à laquelle elle est assignée en paiement ou en exécution forcée, que ce soit au fond ou à titre provisionnel ».
Des juridictions au fond sont allées encore plus loin en retenant la date des expertises amiables dommages-ouvrage auxquelles les constructeurs avaient été convoqués (CA VERSAILLES, Ch. 12, 17 février 2022, n°20/04297).
La fixation du point de départ au jour de l’assignation en référé expertise, voire à une date antérieure à tout contentieux, est source de difficultés pratiques, d’encombrement considérable des juridictions et de complexité de la procédure civile dès lors que :
- Cela impose aux multiples constructeurs assignés en référé d’agir réciproquement au fond de manière préventive, et ce, dans l’unique objectif de préserver des recours hypothétiques ;
- Cela oblige pendant de nombreux mois à régler des incidents de connexité, de redistribution, de jonction ou encore de sursis à statuer dans l’attente d’une réclamation indemnitaire du maître d’ouvrage par nature incertaine.
C’est ainsi que les juridictions administratives doivent être suivies dans leur solution bien plus pragmatique tendant à refuser comme point de départ l’assignation en référé expertise et à le fixer au jour de la demande indemnitaire (CE, Sous-sections 7 et 2 réunies, 11 juillet 2008, n° 285168 ; CE, 10 février 2017, n° 391722 ; CAA NANTES, 3e Chambre, 6 janvier 2017, n°15NT03196 ; CAA de DOUAI, 13 juin 2019, n°16DA00920 16DA01065 16DA01085).
La position des juridictions judiciaires ne semble pas définitive :
- En matière d’actions récursoires en garantie des vices cachés, le point de départ a été fixé au jour de l’assignation au fond ou de la demande indemnitaire (Cass. Civ. 3, 2 juin 2016, n°15-17.728 ; CA POITIERS, Ch. Civile 1, 23 juin 2017, n°17/00245) ;
- La Cour de cassation a critiqué le point de départ vague et général de l’article 2224 du Code civil en proposant une nouvelle formulation (Rapport juin 2022 « L’attractivité de la responsabilité civile : approches comparatives dans les relations économiques ») : « En matière de responsabilité civile, le délai de prescription commence à courir du jour où la victime a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative : le fait générateur de responsabilité, le dommage que lui cause ce fait générateur et l’identité de l’une des personnes à qui ce fait générateur peut être imputé ».
En toute hypothèse, il s’avère particulièrement nécessaire que ce point de départ puisse faire l’objet, rapidement, d’une évolution légale ou jurisprudentielle.
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Maître Alexandre MOUTOT (cabinetalexandremoutot@gmail.com), Avocat, assiste et conseille particuliers et entreprises en assurance construction aussi bien dans un cadre amiable que judiciaire.