Le retard de livraison d’un bien en VEFA justifie la résolution judiciaire du contrat ainsi que la caducité du prêt contracté pour le financer (TJ Paris, 14 déc. 2021, n°19/07687).
Constatant que son promoteur immobilier avait manqué à son obligation de livraison de biens immobiliers en état futur d'achèvement (VEFA) dans les délais, l’acquéreuse a assigné cette dernière devant tribunal judiciaire de Paris afin de voir prononcer la résolution du contrat de VEFA ainsi que du prêt contracté pour financer cette acquisition.
LIRE LA DÉCISION >> Tribunal judiciaire de Paris, 14 décembre 2021, n°19/07687
« Ma cliente est très satisfaite de cette décision qui met fin à trois années d’attente et à un calvaire que lui a fait subir le promoteur immobilier. Ce jugement vient rétablir un équilibre entre les parties. » - Ganaëlle Soussens, associée au sein du cabinet Soussens Avocats et conseil de l’acquéreuse.
L’achat d’un bien immobilier en VEFA par la demanderesse
Faisant référence à l’article 1601-3 du Code civil, l’article L.261-3 du Code de la construction et de l'habitation précise que « la vente en l'état futur d'achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l'acquéreur au fur et à mesure de leur exécution […] ». Il s’agit donc d’un contrat de transfert progressif de la propriété d’un immeuble à un acquéreur qui bénéficie d’un échelonnement des paiements en fonction de l'avancement des travaux. En l’espèce, la demanderesse a acheté mars 2017 un lot de copropriétés en VEFA à une SARL spécialisée dans la construction d’immobilier neuf.
Afin de protéger l’acquéreur, le vendeur doit lui fournir une garantie d'achèvement ou de remboursement (article R.261-17 du Code de la construction et de l'habitation). En l’espèce, la SARL avait souscrit une garantie financière d’achèvement auprès d’une banque en octobre 2016. De son côté, la demanderesse-acquéreuse avait contracté des prêts bancaires afin de financer son achat.
Selon les termes d’exécution du contrat de VEFA, la livraison à l’acquéreur devait intervenir au plus tard au cours du deuxième trimestre 2018, sauf cas de force majeure ou motif légitime. Or, en 2019, constatant que la SARL avait manqué à son obligation de livraison dans les délais, la demanderesse a assigné cette dernière afin de solliciter une résolution judiciaire du contrat de VEFA ainsi que du prêt contracté.
Une procédure en deux temps
Le 16 mars 2020, le juge de la mise en état a fait droit aux demandes de l’acquéreuse en ordonnant, d’une part, la suspension du remboursement du contrat jusqu'à l'intervention d'une décision définitive tranchant le litige l’opposant à la SARL et en jugeant, d’autre part, que la suspension de l'obligation de remboursement du contrat de prêt ne donnera pas lieu à inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits, ni au paiement de frais, intérêts et accessoires.
« Cette affaire est exemplaire, car nous l’avons menée en deux temps devant le tribunal judiciaire : nous avons d’abord soulevé un incident devant le juge de la mise en état pour obtenir un gel du remboursement du prêt finançant le VEFA, ce qui a permis à ma cliente de supporter le temps de la procédure, puis, nous avons obtenu la résolution de la vente devant le juge du fond. » - Ganaëlle Soussens, associée au sein du cabinet Soussens Avocats et conseil de l’acquéreuse.
Estimant l’affaire en état d’être jugée, le juge de la mise en état a renvoyé l’affaire devant le tribunal judiciaire où la demanderesse a sollicité, d’une part, la résolution du contrat de VEFA, la restitution des sommes avancées et des frais déboursés, ainsi que des dommages et intérêts pour son préjudice financier et moral et, d’autre part, la caducité et le remboursement du prêt bancaire souscrit pour financer l’acquisition immobilière.
De son côté, la SARL défenderesse a demandé de juger irrecevables les demandes de l’acquéreur au motif que celle-ci n’a pas publié l’assignation et ses conclusions au service de la publicité foncière compétent, ainsi que de constater qu’elle n’a commis aucune faute contractuelle, estimant que le délai de livraison est dû à des motifs légitimes.
La banque ayant octroyé un prêt à la demanderesse a, pour sa part, sollicité la restitution du capital lui ayant été prêté dans l’hypothèse où la caducité ou la résolution du contrat de VEFA serait prononcée, tandis que la banque ayant apporté une garantie d’achèvement à la SARL a demandé de débouter la demanderesse et sa banque.
La résolution du contrat de VEFA pour manquement grave du vendeur
Tout d’abord, la juge unique du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SARL pour défaut de publication de l'assignation, considérant qu’il ressort en réalité des pièces que celle-ci a bien été publiée.
À titre liminaire, la juge a ensuite rappelé le principe cardinal de force obligatoire du contrat entre les parties (article 1103 du Code civil) et le fait que la résolution d’un contrat peut notamment résulter d'une inexécution contractuelle suffisamment grave (article 1224 du Code civil). En outre, citant l'article 1601-1 du Code civil, la juge a retenu que l’obligation essentielle d’un contrat de VEFA tient en l’édification de l’immeuble dans un délai contractuellement déterminé par les parties.
Or, en l’espèce, les parties avaient convenu que les biens devaient être livrés, au plus tard, au cours du deuxième trimestre 2018, sauf survenance d'un cas de force majeure ou d'une cause légitime de suspension.
La SARL a justifié la suspension du délai de livraison par plusieurs motifs qu’elle estime légitimes, dont la publication d’arrêtés municipaux lui imposant de suspendre ou de ralentir les travaux, le placement en liquidation judiciaire de son sous-traitant œuvrant sur le chantier et la crise sanitaire liée au covid-19. Néanmoins, la juge a estimé que si certaines causes de suspension étaient valables de façon temporaire, « le retard cumulé non justifié était d'environ 15 mois [et qu’] un tel retard constitue un manquement grave du vendeur à son obligation de délivrer le bien dans le délai contractuel justifiant sa résolution. » (jugement p.8).
Dès lors, la juge a ordonné la résolution judiciaire du contrat de VEFA conformément à l’article 1229 du Code civil.
LIRE AUSSI >> Permis de construire : une expertise pour chiffrer un recours abusif
S’agissant des restitutions découlant de la résolution du contrat, la juge a rappelé que dans l’hypothèse où les prestations échangées ne trouvent leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties sont tenues de restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre (article 1229, alinéa 2 du Code civil).
En l’espèce, la juge a considéré que « les prestations du vendeur et de l'acquéreur ne trouvaient leur utilité qu'avec l'exécution complète du contrat de sorte que la résolution entraîne la restitution par la SARL […] du prix de vente qui, dans le cadre d'une VEFA correspond aux appels de fond […] » (jugement p.8).
La résolution du contrat de VEFA entraîne la caducité du prêt pour le financer
Le contrat de VEFA ayant été résolu judiciairement par ce jugement, la demanderesse a soutenu que le prêt souscrit avait pour objet de financer les biens immobiliers, son objet était connu par sa banque et que le contrat de vente constituait une condition déterminante de son consentement.
Or, l’article 1186 du Code civil dispose que « lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie ».
Les conditions de caducité d’une chaîne de contrats étant en l’espèce satisfaites, la juge en a déduit que « la résolution du contrat de vente rend le contrat de prêt caduc » (jugement p. 10) et doit donner lieu à la restitution des sommes prêtées.
La banque a en outre recherché la responsabilité délictuelle de la demanderesse sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, qui permet au tiers à un contrat d’invoquer un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Cependant, la juge a relevé que « le contrat de vente a été résolu par la faute de la SARL ce qui a entraîné la caducité du contrat de prêt […] » (jugement p.10). Dès lors, il revient à la SARL fautive d’indemniser le préjudice subi par la banque prêteuse et non à la demanderesse.
Enfin, le tribunal a rejeté la demande de garantie formée à l'encontre de la SARL par la demanderesse, notamment, car « la restitution consécutive à la caducité du prêt ne constitue pas un préjudice » (jugement p.11).
Une faible allocation de dommages et intérêts
La juge a ensuite rappelé que l’article 1228 du Code civil autorise le juge à allouer des dommages et intérêts consécutivement à une résolution. Or, en l’espèce, la demanderesse avait effectivement sollicité « l'indemnisation de préjudices consécutifs à la “résiliation de la vente” » (jugement p.9).
Parmi les préjudices financiers, la demanderesse a notamment cité le paiement de la taxe de publicité foncière et de la contribution de sécurité immobilière. Cependant, pour la juge, ceux-ci « ne constituent pas des préjudices réparables, ces taxes pouvant faire l'objet […] d'une restitution par l'administration fiscale en cas de résolution de la vente prononcée par jugement […] » (jugement p.9). De même, la juge a estimé que les charges de copropriété ne sont mises à la charge de l'acquéreur qu'à compter de la date de livraison du bien, de sorte que, « la livraison n'étant pas intervenue, cette demande sera rejetée » (jugement p.9).
De plus, s’agissant des emprunts souscrits pour acquérir les biens immobiliers, il a été jugé que la demanderesse « ne peut être tenue au paiement d'une indemnité de remboursement conformément aux stipulations contractuelles puisqu'elle ne procèdera pas au remboursement de son emprunt mais à la restitution du capital déjà versé » (jugement p.9).
En outre, la juge a estimé que « le préjudice de blocage des fonds n'est pas causé par la résolution prononcée laquelle conduit au contraire à ce que le prix de vente lui soit reversé » (jugement p.9) et que les préjudices financiers liés aux frais de relogement ne sont pas justifiés.
Enfin, s’agissant du préjudice moral causé par le retard de livraison, l'inertie de la SARL et les inquiétudes liées à ce retard, le tribunal a considéré que celui-ci s’étant « manifesté avant la résolution de la vente, il ne peut avoir été causé par celle-ci » (jugement p.10).
En revanche, la SARL a été condamnée à payer la somme de 6 000 euros à la demanderesse et de 4 000 euros à la banque prêteuse au titre des dépens, ainsi que les frais de publication du jugement au service de publicité foncière.
« Cette minimisation des dommages et intérêts est une surprise. Il y avait vraiment un préjudice moral et économique pour ma cliente qui attendait ce logement depuis trois ans. Cependant, les 6 000 euros versés au titre de l’article 700 du Code de procédure civile sont au-dessus de la norme. » - Ganaëlle Soussens, associée au sein du cabinet Soussens Avocats et conseil de l’acquéreuse.
Retrouvez l'intégralité des chroniques judiciaires en cliquant sur ce lien.
Diplômée de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de Sciences Po, Calypso rédige des contenus pour le Blog Predictice.