"En tant que leader, il faut écouter chaque individu"

18 janvier 2022

5 min

martine gerber lemaire
Martine Gerber-Lemaire, managing partner chez Dentons, décrit son parcours et sa vision stratégique à long terme.

Vous êtes actuellement Managing Partner chez Dentons Luxembourg, un cabinet qui compte plus de 12 000 avocats dans le monde. Comment fonctionne la coopération entre les bureaux ?

Notre coopération est très simple. En tant que plus grand cabinet d’avocats du monde, nous avons accès à un grand réseau de talents. Ainsi, en fonction des besoins d’un client, nous pouvons facilement constituer une équipe transfrontalière et multi-compétences d’avocats ayant l’expérience juridique, la connaissance du secteur et du marché local nécessaire pour aider le client à atteindre ses objectifs. Grâce aux technologies modernes, nous pouvons collaborer de manière transparente avec les membres de l’équipe dans le monde entier.


Lorsque Dentons cherche à s’implanter dans un nouveau pays, nous recherchons généralement des cabinets qui se distinguent à la fois par la pertinence et la qualité de leurs pratiques et par leur empreinte sur le territoire. Lorsque Dentons nous a approchés, nous étions un cabinet indépendant et nous avions le désir de rejoindre un plus grand cabinet qui nous donnerait une présence mondiale. Ils nous ont offert cette opportunité tout en nous permettant de conserver un certain degré d’autonomie locale, ce qui a motivé notre choix.

 

Avez-vous déterminé la stratégie du bureau de Luxembourg pour les prochaines années ?

Depuis janvier 2020, notre bureau de Luxembourg a accueilli 40 % d’employés supplémentaires et notre chiffre d’affaires a augmenté proportionnellement. Nous sommes fiers de cette progression.


Le Grand-Duché est un centre financier et l’un des pays les plus stables d’Europe, tant sur le plan économique que politique ; c’est donc un marché important pour nos clients internationaux. Dentons s’est engagé à investir dans les profils talentueux afin d’élargir notre offre de services au Luxembourg et, à terme, de devenir un acteur clé sur ce marché. En tant que Managing Partner, je me concentre sur le développement des pratiques qui sont importantes pour le Luxembourg : le droit des sociétés, la fiscalité, le financement des entreprises, le droit bancaire et l’immobilier. Pour y parvenir, nous devons attirer et retenir les talents.


En tant que leader, je crois qu’il faut écouter chaque individu et être ouvert à son point de vue unique. Nous participons tous à l’intégration des nouveaux arrivants, même s’ils travaillent dans une autre équipe, et nous encourageons les juniors à découvrir tous les départements afin qu’ils puissent choisir la compétence pour laquelle ils ont le plus d’affinités.


En outre, la crise sanitaire a considérablement modifié notre façon de travailler et d’accélérer la numérisation de nos activités. Les signatures électroniques remplacent les impressions papier et les vidéoconférences sont devenues la norme. La technologie offre de nombreuses possibilités intéressantes, mais elle signifie également que nous devons nous adapter et acquérir de nouvelles compétences en tant qu’avocats.


Personnellement, il me reste une dizaine d’années à faire dans ma carrière et je me dois de chercher un futur successeur pour diriger l’équipe Immobilier. Mais aussi à moyen terme un futur Managing Partner luxembourgeois, qui apportera de nouvelles idées pour poursuivre notre croissance et nous mener vers l’avenir. Le partage des connaissances et de l’expérience est très important pour moi, car c’est un moyen pour chacun de contribuer à la construction de notre cabinet et de soutenir la prochaine génération d’avocats.

 

Pensez-vous que la mise en commun des décisions juridiques entre avocats est une opportunité pour renforcer le Luxembourg en tant que centre juridique en Europe ?

Notre bureau a été très avant-gardiste sur ce point puisque cela fait dix ans que nous numérisons notre bibliothèque. En revanche, la place luxembourgeoise a un retard considérable par rapport à d’autres pays comme la France, puisque la jurisprudence des tribunaux civils et commerciaux n’est disponible en ligne que depuis environ un an. De plus, la jurisprudence n’a pas été ajoutée rétroactivement sur le site et le moteur de recherche mis en place par l’Etat est loin d’être optimal.


Nous devons par conséquent avoir recours à d’autres moyens pour accéder à la jurisprudence. Personnellement, je suis membre de « La Revue luxembourgeoise de Droit immobilier », par laquelle les avocats échangent toutes les jurisprudences et les commentent. Autrefois, il était de rigueur de garder ses décisions de jurisprudence à l’abri de la concurrence, mais je pense qu’aujourd’hui la profession doit évoluer vers un échange sans doute plus enrichissant et valorisant.


C’est pourquoi je m’engage complètement en faveur de la mutualisation. Tout nouvel outil ou système mis en place pour encourager le partage des décisions ne peut être que bénéfique pour le cabinet, nos clients et la profession juridique. Notre travail ne doit pas se limiter à interpréter la loi en se référant à la jurisprudence, les avocats doivent apporter de nouvelles idées pour faire évoluer la jurisprudence.

 

Avez-vous rencontré des difficultés dans ce domaine en tant que femme pour concilier votre vie personnelle et professionnelle ?

Je fais partie des chanceuses : mon mari a arrêté de travailler lorsque nos enfants avaient respectivement huit et sept ans, afin que je puisse me consacrer à ma profession. Il était important pour nous d’être directement impliqués dans l’éducation de nos enfants, et cela aurait été difficile si nous étions tous deux consacrés à des carrières à temps plein.


Cet arrangement m’a permis d’être libérée des contraintes domestiques, mais d’être présente chaque fois que mes enfants avaient besoin de moi. Par nature, une mère a un lien très fort avec ses enfants ; en tant que père au foyer, mon mari a pu développer un lien différent, mais tout aussi fort avec eux.


J’ai moi-même été élevée sans aucune idée préconçue sur les différences entre les hommes et les femmes. Ma mère était notaire, mon père agriculteur. À 14 ans, je conduisais des tracteurs et à 35 ans, j’étais associée chez Deloitte. Je n’ai pas connu le « plafond de verre ».


Les femmes ne devraient pas avoir à en faire plus pour atteindre le même niveau que les hommes. Chez Dentons, nous nous efforçons de créer un environnement de travail offrant des chances égales, où les personnes sont évaluées en fonction de leur mérite, de leurs compétences techniques, de leurs compétences en matière de leadership et de leurs aptitudes linguistiques, et non en fonction de leur origine ou de leur sexe. Nous sommes également un cabinet qui aide ses collaborateurs à trouver le bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. Je crois profondément que les hommes comme les femmes devraient prendre un congé parental, et je fais pression pour introduire un congé parental « universel » pour les pères au Luxembourg.


Néanmoins, il y a encore beaucoup à faire pour aider davantage de femmes à accéder à des rôles d’associé et de direction, et pour soutenir les parents qui travaillent.


Je suis opposée aux quotas, mais plutôt favorable à des mesures qui responsabilisent les deux parents dans leur rôle de père et de mère et qui changent profondément les mentalités.

 

Retrouvez l'intégralité des témoignages en cliquant sur le lien suivant : Le droit, l'audace et l'innovation - Les avocats de Luxembourg témoignent.
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Benedetta Antola

Benedetta a suivi une formation juridique en Italie et est diplômée de HEC.

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