Armelle Waisse, partner chez Molitor, analyse les évolutions du monde du travail dans la sphère juridique luxembourgeoise.
Vous êtes chargée de cours associée à l’Université du Luxembourg et titulaire de cours dans le cadre de la formation complémentaire en droit luxembourgeois organisée par le ministère de la Justice. Qu’est-ce que ces fonctions apportent à l’exercice de votre profession d’avocat ?
Même si d’aucuns tendent à opposer le monde universitaire à celui des praticiens, la frontière entre ces deux univers est, à mon sens, totalement perméable. L’enseignement théorique du droit et sa mise en pratique sont deux manières complémentaires d’appréhender le sujet et se répondent mutuellement. Qui imaginerait en effet un professeur se contentant d’un enseignement purement théorique sans prendre en considération l’application des règles et principes ? Ou un avocat conseillant ses clients par rapport à des problématiques délicates sans consulter les opinions doctrinales qui ont pu être émises sur le sujet qui l’occupe ?
L’enseignement du droit me tient particulièrement à cœur, en ce qu’il me permet de transmettre à ceux qui se destinent à devenir juristes les règles et méthodes qu’ils seront appelés à manier tout au long de leur vie professionnelle. Il s’agit aussi de leur fournir toutes les clés qui leur permettront d’interpréter et de faire évoluer la matière. Beaucoup d’entre eux contribueront à façonner le droit de demain.
Ces activités académiques ont bien évidemment une incidence directe sur le traitement des dossiers qui me sont confiés. Une solide connaissance des règles existantes, mais aussi des controverses et des zones d’ombre qui peuvent affecter certains sujets, rend les conseils prodigués aux clients certainement plus précis et circonstanciés, et permet également de faire preuve de créativité et d’innovation lorsque les questions s’y prêtent. Un exercice illustrant particulièrement cet aspect est la rédaction d’avis d’expert indépendant sur des questions de droit luxembourgeois survenant lors de litiges devant des tribunaux étrangers ou de procédures arbitrales internationales. Face aux questions (souvent complexes) pour lesquelles un avis est sollicité, l’expert doit faire montre d’une maîtrise parfaite des concepts juridiques en présence et d’un sens aigu de l’analyse.
Vous êtes membre du Groupe de réflexion en droit privé luxembourgeois. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce groupe de travail ?
Le Groupe de réflexion en droit privé luxembourgeois (GRDPL) est un autre de ces exemples du dialogue constructif entre universitaires et praticiens du droit luxembourgeois, tous impliqués (à des niveaux différents, bien sûr) dans des activités de recherche au Luxembourg. Le groupe s’est formé au printemps 2018 et a pour objectif de contribuer à enrichir les connaissances en droit privé luxembourgeois, et particulièrement de mieux faire connaître le droit civil. Celui- ci voit en effet souvent les projecteurs braqués sur d’autres matières que lui, alors pourtant qu’il constitue la pierre angulaire de notre système juridique.
Le GRDPL organise à ces fins des conférences régulières et des publications collectives (comme le Code civil comparé. Luxembourg, Belgique, France), ou individuelles de ses membres. Il a également été le co-organisateur, avec le ministère de la Justice, des récentes Assises du Code civil, lesquelles avaient pour objectif de lancer une discussion sur la modernisation du Code civil luxembourgeois. À l’heure où les pays de droit civil qui ont toujours inspiré le droit luxembourgeois se sont lancés dans les réformes de leur Code civil, je suis d’avis qu’il est temps pour le Luxembourg d’emprunter la même voie et, non pas de copier ce qu’ont pu faire d’autres, mais de repenser les concepts inscrits dans notre Code au regard de notre environnement juridique et de montrer combien ils ont évolué. Notre droit a su s’adapter ; il convient maintenant, à mon sens, d’inscrire ces changements dans la loi en vue de proposer notamment une lecture plus intelligible de nos textes. Il y va, in fine, de l’attractivité de notre droit.
Pensez-vous que la profession d’avocat au Luxembourg offre les mêmes possibilités aux hommes et aux femmes ?
La profession d’avocat est tout autant attractive pour les femmes que pour les hommes. Celles-ci représentent d’ailleurs près de la moitié des avocats inscrits au tableau de l’ordre, un heureux constat près de 100 ans après l’assermentation de la première avocate au Luxembourg. Les avocates spécialistes dans divers domaines du droit, tant en contentieux qu’en droit des affaires, font d’ailleurs bonne figure dans les classements internationaux des cabinets d’avocats effectués par des organismes indépendants.
Les instances élues du Barreau de Luxembourg se sont également féminisées au cours des décennies et comptent actuellement une quasi-parité au niveau des membres masculins et féminins du Conseil de l’Ordre et de ses commissions. Le bâtonnier actuellement en fonctions est d’ailleurs... une bâtonnière ! Maître Valérie Dupong, la sixième femme assumant cette fonction a, dès le début de son mandat, exprimé sa volonté de se consacrer à un certain nombre de projets ambitieux tendant à la modernisation de la profession, au renforcement de son accessibilité et au traitement de questions sociales, ce qu’elle mène de front tout en continuant à gérer son cabinet.
Certains mécanismes mis en place par le législateur luxembourgeois, comme le congé parental ouvert aux hommes et aux femmes, et l’allongement du congé de paternité, conjugués aux récentes évolutions des mentalités ainsi qu’au développement du télétravail depuis le début de la crise du coronavirus offrent également (et heureusement) aux femmes davantage de flexibilité pour leur permettre de poursuivre leurs activités professionnelles comme elles l’entendent après la naissance de leur enfant.
Pensez-vous que l’utilisation d’outils modernes, comme les moteurs de recherche et d’analyse qui fonctionnent grâce à l’intelligence artificielle, sont désormais incontournables pour les avocats ?
Le virage informatique a été pris par les cabinets d’avocats depuis bien longtemps. Les bases de données en ligne, lesquelles regroupent notamment les solutions jurisprudentielles, articles de doctrine et ouvrages juridiques de référence, sont désormais un outil incontournable permettant un gain de temps inestimable pour les avocats, même si les résultats ainsi générés doivent encore souvent faire l’objet d’un tri manuel pour écarter les informations non pertinentes. De même, la mise en place de certains outils informatiques pour générer des ébauches de documents en fonction de paramètres sélectionnés par l’utilisateur permet de pouvoir se concentrer sur la rédaction et l’adaptation des points plus délicats ne pouvant être traités de manière automatisée. Enfin, la création de programmes dédiés permettant une mise en place aisée de data rooms virtuelles s’est avérée très efficace pour la transmission sécurisée d’informations et la consultation d’une myriade de documents.
Malgré ces progrès notables, il reste (fort heureusement pour la profession) de nombreuses tâches pour lesquelles l’intelligence artificielle n’a pas encore pu prendre le pas sur le cerveau humain, comme les tâches d’analyse, de rédaction, de négociation et d’argumentation.
L’épidémie de coronavirus à laquelle le monde doit encore faire face a cependant permis de faire évoluer certaines idées jusqu’alors bien arrêtées. Dès le début du premier confinement en 2020, les avocats n’ont eu d’autre choix que de recourir (parfois bon gré, mal gré) à des outils informatiques permettant notamment l’organisation du travail à distance, les communications avec les clients et la continuité des services. Cette expérience forcée à laquelle la profession a dû se prêter s’est généralement avérée concluante et a mis en lumière une dépendance accrue aux technologies informatiques. Il est donc fort à parier que les prochaines années seront l’occasion de nouvelles avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle, avec laquelle les avocats doivent compter et à laquelle nous devrons savoir rapidement nous adapter.
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Benedetta a suivi une formation juridique en Italie et est diplômée de HEC.