Procédures collectives : outil de gestion face à la crise sanitaire

17 septembre 2020

10 min

Anthony Dunan, webinar pour Predictice
Me Anthony Dunan, spécialiste du droit des entreprises en difficulté, explique comment utiliser le droit des procédures collectives pour appréhender les difficultés engendrées par la crise du Covid-19.

logo Anthony Dunan

 

 

Maître Anthony Dunan est intervenu le 20 août 2020 lors d'un webinar organisé par Predictice. Major de promotion 2012 du DESU d’entreprises en difficulté et praticien de cette discipline du droit des affaires, il a souhaité partager son expérience pour expliquer comment appréhender les procédures collectives comme un outil de gestion des difficultés engendrées par la crise du Covid-19.

 

« Le plus dur est devant nous », avait lancé le Premier Ministre Bruno Le Maire dès le début de la crise du coronavirus. Une mise en garde qui ne passe pas inaperçue quand on dénombre les entreprises qui ont d’ores et déjà déposé leur bilan.

 

En effet, la crise du coronavirus a mis en alerte tous les professionnels du droit sur le risque d’une multiplication de faillites. Toutefois, l’Etat français a pris en considération cette crise sanitaire afin de venir en aide aux entreprises, aides qui pour le moment n’ont pas démontré leur suffisance.

 

Certes, certaines entreprises ont encore la possibilité de survivre ; cependant d’autres ont fermé leurs portes dès le début du confinement le 17 mars. A titre d’exemples, LA HALLE qui se retrouve en procédure de sauvegarde depuis le 21 avril et NAF-NAF qui est sous le coup d’un redressement judiciaire depuis mai.

 

Ainsi, pour les entreprises qui se trouveraient en état de cessation des paiements après le 12 mars 2020 et/ou s’apprêtent à faire leur déclaration de cessation des paiements, l’ordonnance du 27 mars 2020 leur offre la possibilité de déclarer leur situation jusqu’à trois mois après la date de fin de l’urgence sanitaire ; autrement dit, l'état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 jusqu'au 23 août 2020 inclus.

 

1. La procédure de sauvegarde : un outil opportun de gestion de la crise

Cadre juridique

La procédure de sauvegarde des entreprises est introduite par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Elle est codifiée aux articles L. 620-1 et suivants du code de commerce et R. 620-1 et suivants du même code.

 

Objectifs

Alors que « la procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif » (art. L. 631-1 c. com), la procédure de sauvegarde, elle, est « destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif » (art. L. 620-1 c. com). C’est donc le critère de facilitation de la réorganisation de l’entreprise qui distingue les deux procédures. La procédure de liquidation judiciaire est, quant à elle, « destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens » (art. L. 640-1 c. com).

 

Champ d’application

Rappelons que la sauvegarde exclut les entreprises en état de cessation des paiements. Cet outil est donc exclusivement réservé aux entreprises in bonis qui justifient de « difficultés insurmontables »[1].

 

La sauvegarde sécurise le salaire du dirigeant

Si en matière de redressement judiciaire, le juge-commissaire est compétent pour la réduire, par décision spécialement motivée (art. R. 631-15 c. com), ce n’est pas le cas en sauvegarde au cours de laquelle la rémunération est protégée.

 

La sauvegarde immunise le dirigeant contre toute sanction personnelle

Les articles L. 650-1 et suivants du code de commerce traitent de la question des responsabilités et sanctions en matière de procédures collectives : action en responsabilité pour insuffisance d’actif – en faillite personnelle et autres mesures d’interdiction – et en banqueroute.

 

Néanmoins, le dirigeant d’une société débitrice en procédure de sauvegarde ne peut faire l’objet d’aucune sanction ni action en responsabilité.

 

La sauvegarde protège le dirigeant (personne physique) caution personnelle

En matière de procédure collective du débiteur principal, la caution personne morale ne bénéficie d'aucun aménagement particulier de son traitement et est donc exposée à des poursuites (et peut demander des délais de grâce dans les conditions de droit commun), alors que la caution personne physique bénéficie d'un traitement qui dépend de la nature de la procédure collective du débiteur principal dont elle s'est portée caution :

 

Si le débiteur principal est en sauvegarde, la caution personne physique :

 

- ne peut faire l'objet de mesures d'exécution durant la période d'observation (art. L. 622-28 c. com). Le créancier peut cependant pratiquer des mesures conservatoires et mener la procédure prévue à peine de caducité pour l'obtention d'un titre exécutoire, mais l'exécution du titre exécutoire est suspendue pour la durée du plan[2]

 

- peut « se prévaloir » du plan (art. L. 626-11 c. com), c'est à dire que tant que le débiteur principal règle le plan, la caution ne pourra être actionnée en paiement[3]. Dès qu'une échéance du plan est impayée, et au fur et à mesure des impayés, le créancier peut poursuivre la caution, sans avoir à solliciter ou à attendre la résolution du plan[4] ;

 

- peut objecter, pendant la durée du plan, l'absence de déclaration de la créance (art. L. 622-26 c. com) ;

 

- peut se prévaloir du fait que « le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus » (art. L. 622-28 c. com).

 

Si le débiteur principal est en redressement judiciaire, la caution personne physique :

 

- ne peut faire l'objet de mesures d'exécution durant la période d'observation (renvoi à l'art. L. 622-28 par l'art. L. 631-14 c. com), mais peut faire l'objet de mesures conservatoires[5] ;

 

- ne peut se prévaloir du plan de redressement (art. L. 631-20 c. com). Concrètement, dès que le débiteur principal n'est plus en période d'observation[6], le créancier peut exiger que la caution le paye, et la caution, qui deviendra créancier à sa place (par le mécanisme de la subrogation) sera remboursée selon les délais et modalités du plan (y compris si dans le cadre du plan la banque a été contrainte de donner main levée de son nantissement[7]). La caution ne peut invoquer contre le créancier les délais qu'il a acceptés contre le débiteur principal : si la dette est échue, la caution doit l'assumer quel que soit l'échéancier du plan accepté ou imposé au créancier ;

 

- ne peut se prévaloir de l'absence de déclaration de créance pendant le plan ni de l'arrêt du cours des intérêts qui est prévu en sauvegarde (art. L. 631-14 dernier alinéa qui procède par renvoi à l'art. L. 622-26 pour l'inopposabilité de la créance non déclarée et à l'article L. 622-28 pour l'arrêt du cours des intérêts).

 

La sauvegarde recèle bien d’autres avantages

  Sauvegarde Redressement
Initiative Débiteur (L. 622-6 et R. 622-4 c. com) Débiteur / créanciers
JO et délais Aucune contrainte Contrainte du tribunal afin de prévoir une première audience dans les deux mois de l’ouverture pour contrôler l’avancement de la procédure (R. 631-15)
Inventaire Débiteur Huissier / commissaire-priseur
Cession Ce n’est pas une sortie classique de la procédure de sauvegarde ; la crainte du débiteur de se voir dépossédé de son entreprise est donc moindre Alternative au plan de redressement
Résolution du plan Ouverture d’un redressement judiciaire (L. 626-27-1 c. com) Cessation des paiements en cours de plan de redressement entraîne résolution du plan et liquidation judiciaire

 

Formalisme de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde

La demande d’ouverture de la procédure de sauvegarde suppose de déposer au greffe du tribunal compétent, en six exemplaires :

 

- formulaire mis en ligne sur le site service-public.fr ;

 

- note relative à la nature des difficultés rencontrées par l’entreprise et les raisons pour lesquelles la société concernée n’est pas en mesure de surmonter ses difficultés ;

 

- copie d’une pièce d’identité du représentant légal ;

 

- extrait du Registre du Commerce et des Sociétés datant du jour du dépôt et/ou un extrait d’inscription au répertoire des métiers selon le cas (un original et cinq copies) ;

 

- état d’endettement datant du jour du dépôt (un original et cinq copies) ;

 

- comptes annuels du dernier exercice ;

 

- situation de trésorerie de moins de huit jours ;

 

- attestation sur l’honneur certifiant l’absence de désignation d’un mandataire ad hoc ou l’ouverture d’une conciliation dans les dix-huit mois précédant la demande ou, dans le cas contraire, une attestation faisant état d’une telle désignation ou de l’ouverture de la procédure et mentionnant sa date ainsi que l’autorité qui y a procédé ;

 

- une provision de 300 euros TTC est demandée par le greffe au moment du dépôt de la déclaration.

 

2. Le gel des créances : un outil de financement du coût des restructurations

Tout comme en redressement, la procédure de sauvegarde permet de « geler » le passif antérieur à l’ouverture de la procédure (rétroactivité à 00h00 du jour du jugement d’ouverture en vertu de l'article R. 621-4 du code de commerce).

 

En pratique, le débiteur qui utilise les procédures collectives comme outils de restructuration anticipe les effets du jugement d’ouverture (gel des créances antérieures). En effet, il poursuit son activité, encaisse ses clients, mais cesse, quelques semaines voire quelques mois, de payer ses créanciers. Cela permet d’augmenter sa trésorerie au jour de l’ouverture de la procédure et d’améliorer l’efficacité de la procédure dont le but est de « faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ».

 

Ainsi, par le mécanisme du gel du passif, le débiteur diligent provisionne le coût de la réorganisation de l’entreprise, gage d’efficacité de la sauvegarde.

 

L’une des principales mesures de restructuration, outre la renégociation voire la résiliation de certains contrats, consiste à envisager un plan de licenciement. Observons qu’à la différence de la procédure de redressement, le débiteur en sauvegarde n’a pas à soumettre son projet au juge-commissaire. En sauvegarde, le débiteur reste maître de son affaire et licencie si bon lui semble.

 

Attention : La sauvegarde constitue un motif économique du licenciement que s’il permet de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, sans être nécessairement subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date des licenciements[8].
En sauvegarde, la garantie des sommes éventuellement dues au jour du jugement d’ouverture est exclue de l’intervention de l’AGS. Celle-ci se limite aux seules créances résultant des licenciements pour motif économique prononcés pendant la période d’observation ou pendant le mois suivant l’arrêté du plan de sauvegarde. Pour le calcul des indemnités de rupture garanties, les limites des dispositions de l’article L.3253-13 du code du travail s’appliquent (opposabilité des accords octroyant des indemnités extra-légales).

 

 

3. La déclaration de créance : un outil de restructuration de la dette

Restructuration par le simple délai légal de déclaration

La déclaration de créances est l'acte par lequel le créancier d'un débiteur qui fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire exprime la volonté de participer à la procédure. La déclaration par le créancier doit se faire auprès du mandataire désigné et ce, dans les deux mois suivant la publication au BODACC (art. R. 622-24 c. com).

 

Cette obligation incombe aux créanciers (sauf salariés et créanciers inscrits), que le débiteur bénéficie d’une procédure de sauvegarde (art. L. 622-24 c. com), de redressement (art. L. 631-14 c. com) ou de liquidation judiciaire (art. L. 641-3 c. com).

 

Le créancier qui n'a pas fait sa déclaration dans les délais est forclos pendant toute la durée de la procédure. Exceptionnellement, il peut demander au tribunal d'être relevé de sa forclusion démontrant que le retard est extérieur à sa volonté : soit qu’il n'est pas de son fait (par exemple, une hospitalisation), soit qu’il résulte d’une négligence du débiteur lui-même (par exemple, oubli de le mentionner dans la liste de ses créanciers). Il doit alors adresser une requête au juge-commissaire dans les six mois suivant la publication du jugement d'ouverture au BODACC. S'il obtient gain de cause, il doit déclarer la créance dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision de relevé de forclusion.

 

Ainsi, par ce seul délai légal, de nombreux créanciers négligeant oublieront de déclarer leur créance, voire la déclareront tardivement, ce qui est de nature à réduire considérablement le passif à rembourser.


Cette phase de restructuration de la dette est donc fonction de la négligence des créanciers et ne nous intéresse pas nécessairement, bien qu’elle mérite d’être soulignée.

 

Restructuration par la contestation des créances

Le mandataire judiciaire désigné dresse alors l'état des créances. Il établit ses propositions d'admission ou de rejet sur la base, notamment, du délai mentionné ci-dessus mais également du formalisme et du contenu de la déclaration de créance.

 

Le motif de contestation lié à l’auteur de la déclaration de la créance

 

La question du mandataire du créancier a fait couler beaucoup d’encre. Ainsi la déclaration de créance peut être effectuée par un mandataire pour le compte du créancier (art. L. 622-24 c. com) étant entendu que, sauf s'il est avocat, le mandataire doit justifier d'un pouvoir pour déclarer créance :

 

- Si le mandataire n'est pas un préposé (un salarié) du créancier, le mandat de déclarer créance doit être un mandat "spécial" c'est à dire viser spécifiquement la déclaration de créance au passif d'un débiteur déterminé.

 

- Si le mandataire est un préposé, le mandat pour déclarer la créance peut être général mais, concernant un établissement public, la créance est déclarée par l'organe habilité par la loi.

 

En tout état de cause, le créancier doit fournir tout document permettant de s'assurer que la signature figurant sur la déclaration de créance est bien celle de la personne investie du pouvoir[9], cette preuve étant rapportée par tout moyen jusqu'à ce que le juge statue sur la créance[10]. Dans tous les cas, le pouvoir doit être joint à la déclaration de créance et, en cas d'oubli, être produit ultérieurement. Bien entendu, le pouvoir doit avoir existé au jour de la déclaration de créance ou en tout état avant l'expiration du délai pour déclarer créance[11], et il n'est pas possible de régulariser a posteriori un pouvoir qui n'existait pas à l'intérieur du délai. C'est la stricte application des articles 117 et 120 du code de procédure civile, aux termes desquels la nullité pour défaut de capacité d'un acte de procédure est susceptible d'être régularisée avant que le juge statue mais à l'intérieur du délai imparti pour exercer l'action (en l'espèce pour déclarer créance), cette précision étant apportée de manière constante par la jurisprudence.

 

En pratique, le mandataire du créancier déclare créance et, logiquement, dans le cadre de la vérification des créances, le mandataire judiciaire adresse au créancier un courrier de contestation portant sur l’absence de justification ou de validité du pouvoir donné par le créancier. Or, le défaut de réponse dans le délai de trente jours interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire, à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créances (art. L. 622-27 c. com.).

 

Autrement dit, le créancier est averti de la contestation par le courrier recommandé du mandataire judiciaire et peut soit ratifier la déclaration de créance avant que le mandataire judiciaire établisse la liste de ses propositions d’admission (art. L. 624-1 c. com.), auquel cas la contestation sera abandonnée, soit attendre d’être convoqué devant le juge commissaire dans le cadre de la contestation de sa créance (art. R. 624-4 al. 2 c. com.) pour procéder à la ratification.

 

La déclaration de créance doit contenir :

 

- le montant de la créance due au moment du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et leur date d'échéance ;

 

- la nature de la garantie dont la créance est éventuellement assortie ;

 

- les modes de calcul des intérêts en cours (cette mention vaut déclaration pour le montant ultérieurement arrêté) ;

 

- les éléments visant à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre ; et

 

- l’indication de la juridiction saisie si la juridiction fait l'objet du litige.

 

À cette déclaration doivent être joints, sous bordereau, les documents justificatifs (copie de facture, de bon de commande ou de livraison par exemple).

 

Lorsqu'une créance est portée à la connaissance du mandataire par le débiteur, elle est considérée comme déclarée. La déclaration dispense le créancier de faire une mise en demeure au débiteur. Elle interrompt le délai de prescription de la procédure jusqu'à sa clôture.

 

Si le créancier est une administration, il est nécessaire de préciser le caractère provisionnel ou définitif de la créance. Chaque créancier doit communiquer la liste de ses créances soit au mandataire judiciaire pour une entreprise sous sauvegarde ou en redressement judiciaire, soit au liquidateur pour une entreprise en liquidation judiciaire. Naturellement, il est vivement recommandé d’adresser la déclaration de créances par LRAR.

 

La procédure de contestation relève de la compétence du juge-commissaire. En amont, le débiteur est interrogé par le mandataire judiciaire pour savoir s’il accepte ou non la créance au passif de sa procédure. Si le débiteur accepte, la créance est admise au passif de la procédure. S’il refuse, ce qui est vivement conseillé, le mandataire demande au créancier de lui indiquer ses observations dans un délai de 30 jours. Si le créancier omet de répondre dans les 30 jours au mandataire, il sera alors réputé avoir renoncé à sa créance.

 

Ainsi, refuser la créance est une technique de restructuration qui capitalise sur la négligence du créancier.

 

Si le créancier répond dans les délais, le juge commissaire est saisi pour entendre les observations du débiteur et du créancier. Il statut par ordonnance : soit il admet la créance au passif, soit il la rejette. Cette décision est susceptible d’appel.

 

Attention : Il n’est pas rare que, dans leur déclaration de créance, les banques omettent les modalités de calcul des intérêts à échoir. Il n’est pas rare non plus que le juge-commissaire, dans son ordonnance, omette de reprendre les modalités de calculs. Le cas échéant, le débiteur doit espérer que la banque n’interjette pas appel de la décision du juge-commissaire.

 

Par principe, le jugement d'ouverture d’une procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations (art. L. 621-48 al. 1er c. com.). Il s’agit d’un principe fondamental en matière de procédure collective. Sur ce seul fondement, la banque ne saurait prétendre que les intérêts conventionnels continuent à courir.

 

Par exception à ce principe, les intérêts à échoir résultant d’un contrat de prêt pour une durée égale ou supérieure à un an se poursuivent nonobstant l’ouverture d’une procédure collective peuvent continuer à courir, sous certaines conditions. En effet, à autorisation exceptionnelle, contrôle exceptionnel : le législateur impose au créancier dispensateur de crédit un formalisme rigoureux puisqu’il doit mentionner, dans sa déclaration de créance, les modalités de calcul des intérêts conventionnels à échoir (art. L. 621-48 c. com.) en respectant le formalisme de l’article L. 622-25 du code de commerce.

 

Les juges du fonds contrôlent cette exigence avec rigueur. Ils considèrent que la déclaration de créance doit exprimer par elle-même, de façon non équivoque, la volonté du créancier de déclarer une créance déterminée au passif de la procédure collective du débiteur. Ils en concluent que la simple mention « mémoire » ou « outre intérêts » portée sur la déclaration de créance fait ressortir le caractère équivoque de cette déclaration qui doit, dès lors, être rejetée. Dans ces conditions, la jurisprudence de la Cour de cassation rejette systématiquement tout pourvoi formé par un créancier en contestation d’une décision ayant statué en faveur du rejet d’une créance d’intérêts conventionnels à échoir dès lors qu’il est constaté que la déclaration de créance ne précise pas les modalités de calculs de ces intérêts[12].

 

Attention : Si la contestation sérieuse est retenue devant le juge commissaire, le créancier devra saisir le tribunal de commerce (art. R. 624-5 c. com.).

 

4. Présentation d’un arrêt important en la matière

Cour de cassation, Chambre Commerciale, 31 janvier 2017, pourvoi n° 15-15.032 :

 

Les faits 

L'Association pour la Gestion des Institutions Sociales Maritimes (ci-après AGISM), est titulaire de cinq compte-courants dans les livres du Crédit Mutuel ouverts le 29 mars 2006. Elle a contracté trois crédits auprès de cet organisme bancaire et, parmi eux, un prêt suivant acte notarié pour un montant de 120 000 euros remboursable à compter du 30 juin 2007 en 47 trimestrialités de 3 204.43 euros en principal et intérêts au taux de 3,90% l'an, majoré de trois points en cas de retard à compter de l'échéance restée en souffrance et jusqu'à la reprise du cours normal des échéances contractuelles.

 

Le 16 mai 2013, le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement publié au BODACC le 18 juin suivant, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'AGISM, a désigné Maître Gérard Philippot en qualité d'administrateur et la SELAFA MJA en la personne de Maître Denis Gasnier postérieurement remplacé par Maître Frédéric Lévy comme mandataire judiciaire.

 

Le 24 juin 2013, la Caisse Régionale du Crédit Mutuel d'Ile de France a déclaré une créance d'un montant de 6 519.95 euros au titre des sommes échues et de 65 635.51 euros au titre des sommes à échoir, à titre partiellement chirographaire. Par lettre recommandée reçue le 14 mars 2014, le mandataire a contesté la créance déclarée, faisant valoir que les intérêts avaient été déclarés pour 0 euro et qu'il n'y avait pas d'intérêts de retard majorés déclarés.

 

Dans une lettre recommandée du 9 avril 2014, la banque a maintenu sa déclaration considérant avoir valablement déclaré les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté et s'être expressément réservé à la fin de sa déclaration l'application des intérêts visés à l'article L. 622-28 3 du code de commerce.

 

La procédure 

 

Dans une ordonnance du 10 juin 2014, le juge-commissaire du Tribunal de grande instance de Paris a constaté que la créance déclarée par la Caisse Régionale de Crédit Mutuel d’Île de France au titre des intérêts contractuels à échoir à compter du 16 mai 2013 était de 0 euro ; a rejeté en conséquence l'inscription d'une créance pour les intérêts contractuels à échoir à compter du 16 mai 2013 au titre du prêt nº00598 200347 03 souscrit le 17 mai 2007 ; a admis la créance à échoir déclarée par la caisse de Crédit mutuel d’Île de France au titre du prêt nº 00598 200347 03 souscrit le 17 mai 2007 pour les intérêts de retard selon les modalités de calcul figurant en page 11 des conditions générales des crédits professionnels annexées au contrat, à titre privilégié.

 

Par arrêt du 22 janvier 2015, la Cour d’appel de Paris a confirmé l'ordonnance ayant admis la créance à échoir déclarée par la Caisse au titre des intérêts de retard « selon les modalités de calcul figurant en page 11 des conditions générales des crédits professionnelles annexées au contrat », au motif que ces intérêts de retard ont été déclarés par la mention « outre intérêts article L. 622-28 3 du code de commerce » figurant à la fin de la déclaration, laquelle marque la demande expresse d'admission du créancier au titre desdits intérêts, dès lors qu'y était annexé le contrat de prêt dont les dispositions contractuelles stipulaient le taux applicable et les modalités de calcul des intérêts, ainsi qu'il est établi par le bordereau joint à la déclaration.

 

Le problème juridique 

La question posée à la Cour de cassation était celle de savoir si la mention « outre intérêts article L. 622-28 3 du code de commerce » pouvait, en l'absence de toute précision sur leurs modalités de calcul dans la déclaration elle-même ou par renvoi exprès de celle-ci à un document joint indiquant ces modalités, valoir déclaration des intérêts dont le cours n’est pas arrêté.

 

La solution 

Par arrêt du 31 janvier 2017, la Cour de cassation répond par la négative au visa des articles L. 622-25 1 et R. 622-23 2 du code de commerce en application desquels la déclaration de créance contient les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté :

 

« Qu'en statuant ainsi, alors que la seule mention, dans la déclaration de créance, des « intérêts article L. 622-28 3 du code de commerce » ne pouvait, en l'absence de toute précision sur leurs modalités de calcul dans la déclaration elle-même ou par renvoi exprès de celle-ci à un document joint indiquant ces modalités, valoir déclaration des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

 

Par cet arrêt, non isolé, la Cour de cassation rappelle l’exigence du formalisme imposé aux créanciers du débiteur en procédure collective.

 

Ce formalisme est un outil efficace permettant au débiteur de restructurer une grande partie de sa dette.

 

5. L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif : un outil de potentiellement restructurant de la dette financière (PGE)

La notion de soutien abusif

La crise du Covid-19 a permis un dispositif exceptionnel de soutien aux entreprises par le PGE qui est un prêt accordé par une banque à une entreprise, mais garantie par l’État.

 

La question qui se pose est celle de savoir s’il est envisageable de poursuivre, selon certaines conditions, les banquiers dispensateurs de crédit pour « soutien abusif ».

 

Cela correspond à la situation dans laquelle un tiers quel qu'il soit (généralement une banque, un établissement financier ou un partenaire privilégié) a accordé des soutiens, par des prêts ou tout autre facilité (par exemple le fait de ne pas recouvrer des sommes dues) dans des conditions telles que s’ils n'avaient pas existé, l'état de cessation des paiements du bénéficiaire aurait été révélée.

 

Ces soutiens sont dits abusifs, en raison du fait qu'ils n'auraient pas dû être accordés sur leur dispensateur avait été prudent[13], et peuvent être sanctionnés s'ils ont causé un préjudice aux créanciers : en effet, si les soutiens n'avaient pas été accordés, les créanciers, ou au moins certains d'entre eux, n'auraient pas contracté avec l'entreprise qui aurait par hypothèse cessé son activité. Ils ne se trouveraient donc pas créanciers.

 

Action en soutien abusif et restructuration de la dette

Les dispensateurs de soutiens abusifs peuvent être jugés responsables du préjudice qu'ils ont causé aux créanciers dont la créance est apparue postérieurement au moment où, sans ces soutiens, l'état de cessation des paiements aurait été révélé. Leur responsabilité est à hauteur de l’augmentation de l'insuffisance d'actif c'est à dire l'aggravation de la situation depuis les soutiens[14].

 

Les actions menées par les mandataires de justice dans l'intérêt des créanciers, notamment contre les banques, ont parfois donné lieu à des condamnations massives.

 

Depuis 2008, le nouvel article L. 650-1 du code de commerce rend extrêmement difficiles les actions en responsabilité pour soutien abusif à la fois à l'initiative du liquidateur (ou du mandataire judiciaire, représentant les créanciers) mais également de tiers, victimes directes des agissements de la banque, comme par exemple le co-emprunteur ou la caution[15], puisque le texte ne distingue pas.

 

Le texte dispose en effet, de manière très restrictive : « les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. »

 

Notion d’immixtion : L’immixtion se révèle dès lors qu’il est démontré l’accomplissement par la banque d’actes positifs de direction ou l’exercice d’une influence décisive sur la gestion du débiteur, de nature à constituer une immixtion caractérisée dans la gestion de ce dernier[16].

 

Notion de fraude : La fraude s’entend comme un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive[17].

 

Le texte est donc relativement protecteur du dispensateur de crédit, y compris pour le crédit d'acquisition de l'entreprise, c'est à dire le crédit initial qui a été le support de la création de l'entreprise[18] ou pour un crédit de restructuration censé ne pas augmenter l'endettement et ne pas tromper les tiers... alors précisément qu'il s'agit d'un refinancement causé par les difficultés[19].

 

En revanche, il comporte une faille qui ne nous semble pas avoir été totalement exploitée. A priori en effet, à la lettre du texte, ne peuvent être poursuivis, sauf dans des cas extrêmes d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, de fraude ou de prise de garantie disproportionnée, que les créanciers. La question peut donc se poser de savoir si un partenaire qui a accordé un soutien, mais qui n'est pas créancier, par exemple parce qu'il a été intégralement remboursé avant le jugement d'ouverture (le prêt ou le crédit-bail mobilier ou immobilier est arrivé à échéance et intégralement payé), peut (ou pas) être poursuivi.

 

La tendance ultra protectrice pour les établissements financiers devait l'emporter, même si la lettre du texte ne l'induit absolument pas : la Cour de cassation a donc pris le parti d'indiquer « l'article L. 650-1 du code de commerce limitant la mise en œuvre de la responsabilité du créancier à raison des concours qu'il a consentis, sans distinguer selon que ce créancier a déclaré ou non une créance au passif du débiteur mis en procédure collective, c'est exactement que la Cour d'appel a retenu que la généralité des termes de ce texte ne permettait pas d'exclure du bénéfice de son application un créancier qui ne le serait plus au jour de l'ouverture de la procédure collective du bénéficiaire des concours »[20].

 

La notion de concours s'entend restrictivement et, notamment, une garantie financière n'est pas un concours[21].

 

En tout état, si l'action est menée, elle n'est pas une action sur laquelle la procédure collective exerce une influence, de telle manière que ce n'est pas le tribunal de la procédure collective qui est compétent, mais celui qui aurait été compétent, en l'absence de procédure collective, dans le cadre d'une action en responsabilité de droit commun[22].

 

Ainsi, la restructuration de la dette par l’action en soutien abusif parait peu envisageable pour les PGE qui, par principe, ne seront ni intégralement remboursé au moment de l’ouverture de la procédure, ni ne font l’objet d’une garantie disproportionnée.

 

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[1] Arrêt « Cœur Défense » : Cass. com. 8 mars 2011, pourvois n° 10-13.988, 10-139.89 et 10-139.90.  

[2] Cass. com. 27 mai 2014, pourvoi n° 13-18.018 ; Cass. com. 2 juin 2015, pourvoi n° 14-10.673 ; Cass. com. 1er mars 2016, pourvoi n° 14-20.553.

[3] Cass. com. 1er mars 2016, pourvoi n° 14-16.402.

[4] Cass. com. 2 juin 2015, pourvoi n° 14-10.673.

[5] Cass. com. 3 novembre 2015, pourvoi n° 14-19.191.

[6] Cass. com. 10 janvier 2018, pourvoi n° 15-15.897.

[7] Cass. com. 13 octobre 2015, pourvoi n° 14-16.264.

[8] Cass. soc. 11 janvier 2006, pourvoi n° 04-46.201.

[9] Cass. com. 20 septembre 2017, pourvoi n°16-14.341

[10] Cass. com. 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-20.176

[11] Cass. com. 3 novembre 2015, pourvoi n° 14-11.020

[12] Cass. com. 21 janvier 2003, pourvoi n° 99-16.810 ; Cass. com. 15 mars 2005, pourvoi n° 03-18.607 ; Cass. com. 13 juin 2006, pourvoi n° 05-12.259 ; Cass. com. 31 janvier 2017, pourvoi n° 15-15.032 ; Cass. com. 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.268.

[13] Cass. com. 27 mars 2012, pourvoi n°10-20.077.

[14] Cass. com. 22 janvier 2020, pourvoi n°18-20.362.

[15] Cass. com. 17 septembre 2013, pourvoi n°12-21.871.

[16] Cass. com. 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-21025

[17] Cass. com. 8 janvier 2020, pourvoi n°18-21.452.

[18] Cass. com. 3 novembre 2015, pourvoi n° 14-10.274.
[19] Cass. com. 9 mai 2018, pourvoi n° 17-10.965. 
[20] Cass. com. 19 septembre 2018, pourvoi n° 17-12.596. 
[21] Cass. com. 24 mai 2018, pourvoi n° 17-10.005 ; Cass. com. 24 mai 2018, pourvoi n° 16-26.387.
[22] Cass. com. 12 juillet 2016, pourvoi n° 14-29.429.
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Anthony Dunan

Me Anthony Dunan, avocat au Barreau de Toulon, a récemment créé son cabinet intégralement dédié aux TPE et PME. Il propose une offre complète de services aux entreprises et à leurs dirigeants, pour les accompagner dans toutes les phases de création, développement, protection et transmission de leur activité.

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