Olivier Bernardi, associé au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel, fait le point sur les risques engendrés par la crise de la covid-19 pour le secteur bancaire.
Quels sont les impacts de la crise actuelle sur le secteur bancaire ?
Les impacts sur le secteur bancaire sont doubles : en premier lieu, les banques sont des entreprises classiques. Comme les autres entreprises, elles ont dû s’adapter notamment aux contraintes sanitaires qui ont eu pour effet de transformer profondément la manière dont elles géraient habituellement leurs activités, avec un développement très fort du télétravail. Les établissements bancaires ont néanmoins bénéficié d’un avantage par rapport aux entreprises des autres secteurs car la réglementation bancaire leur impose depuis plusieurs années de disposer de dispositifs et de processus opérationnels leur permettant d’assurer la continuité de l’exploitation. Ainsi les établissements bancaires ont bien géré cette transformation.
En revanche, les entreprises du secteur bancaire ont été particulièrement mises à contribution : alors que la crise imposait une modification profonde de leur mode de travail, les banques ont dû faire face à des sollicitations fortes de soutien à l’économie. Les pouvoirs publics leur ont demandé de contribuer au maintien du financement de l’économie, notamment par l’octroi de crédits aux entreprises connaissant des difficultés de trésorerie significatives.
Ainsi, les banques ont dû accompagner leurs clients pour les aider à passer cette période difficile : concrètement, elles ont dû faire face à de nombreuses demandes de réaménagements de prêt, de financements de restructurations...
Les activités d’investissement ont également été touchées par la chute des marchés financiers survenue à compter de mars 2020 qui a pu compromettre certaines opérations de fusion-acquisition, ou des stratégies d’investissement (la baisse de valeur des titres cotés pouvant avoir des conséquences négatives sur la valeur de certaines garanties ou la possibilité pour les entreprises cotées de se financer sur les marchés, sans parler des contraintes réglementaires d’exception pouvant entraver certaines activités, comme les restrictions sur les opérations de ventes à découvert décidées par l’AMF).
Certaines mesures d’urgence ont dû être prises également pour faciliter les transactions dans un contexte de crise sanitaire très particulier (augmentation du plafond des paiements sans contact par exemple). Cette crise a accéléré la digitalisation du secteur bancaire et financier en poussant les organismes financiers à moderniser leur pratique..
En résumé, les établissements bancaires ont été contraints de s’adapter, aussi bien dans l’organisation de leur travail que dans le développement de leurs activités et le soutien à l’économie.
La durée de la crise aura une importance significative sur les risques que les établissements bancaires devront gérer. Le prolongement de la crise sanitaire et économique que nous connaissons pourrait impacter fortement la santé financière de ces établissements si les mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics pour soutenir les agents économiques se révélaient insuffisantes ou inadaptées, ce qui ne semble toutefois pas être le cas à ce stade.
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Pensez-vous que les mesures adoptées après la crise des subprimes permettent aux banques d’affronter la crise engendrée par la covid-19 ?
Le cadre réglementaire a beaucoup évolué après la crise des subprimes qui a révélé la fragilité du secteur bancaire, loin de l’image de bateau insubmersible qu’on lui attribuait parfois.
L’activité bancaire repose sur des leviers et donc présente des fragilités dans son fonctionnement même. Ainsi les fonds propres ne sont pas très importants par rapport aux expositions que les établissements bancaires prennent. Ce n’est pas gênant lorsque la gestion est rigoureuse et qu’il n’y a pas de choc économique. Mais lorsqu’un tel choc se produit, les établissements bancaires peuvent être confrontés à la fois à une augmentation de leurs coûts et à une baisse de leurs revenus créant un effet “ciseaux” générateur de difficultés.
La crise des subprimes a notamment démontré qu’un tel risque pouvait se réaliser. C’est pourquoi des mesures ont été prises par la suite pour renforcer la solidité financière des banques et les rendre plus résistantes en cas de crise.
Il y a eu d’abord des mesures consistant à renforcer les exigences de fonds propres dont les établissements bancaires doivent disposer, afin d’être en mesure d’absorber des pertes imprévisibles. Les Accords de Bâle III ont été transposés en Europe par un certain nombre de directives et de règlements communautaires qui sont venus imposer la constitution de coussins de fonds propres contra-cycliques permettant d’ajuster les exigences de fonds propres des établissements de crédit en fonction du cycle économique et financier. L’idée consiste à dire que lorsque l’économie se porte bien et que les bénéficies sont présents, les établissements doivent constituer des réserves dans lesquelles ils pourront puiser en cas de crise.
D’autres mesures ont également été adoptées afin de confier plus de pouvoirs aux autorités de supervision et leur permettre de mieux prévenir les difficultés, notamment par l’attribution de de moyens d’action coercitifs visant à faciliter le contrôle et le cas échéant le redressement des établissements connaissant des difficultés. La réglementation actuelle permet véritablement aux superviseurs bancaires d’anticiper les situations difficiles avant qu’elles ne deviennent ingérables.
Est-ce que ces mesures permettent d’affronter sereinement la crise de la covid-19 ? Il est difficile de se prononcer car la crise n’est pas terminée. Pour l’instant, il n’y a pas eu de défaillance bancaire en France et plus largement en Europe et les banques résistent plutôt bien. Les mesures prises à la suite de la crise des subprimes semblent donc se révéler plutôt efficaces.
En revanche, la poursuite de la résilience que nous connaissons actuellement dépendra essentiellement de la durée de la crise et de l’importance du rebond que l’on connaîtra à sa sortie.
Il convient également de relever que les dirigeants étatiques européens ont fait preuve de pragmatisme et d’une certaine flexibilité pour permettre aux établissements bancaires de se concentrer sur la gestion de la crise, la poursuite de leur activité de crédit et leur rôle de soutien à l’économie.
Ont ainsi été décidés un report de l’entrée en application de la réglementation Bâle IV, ainsi qu’un assouplissement d’un certain nombre de normes, notamment comptables (IFRS 9), ou encore la réduction de l’exigences de fonds propres contra-cycliques à zéro.
Il sera intéressant de voir si la crise liée à l'épidémie COVID 19 ne va pas mener à une remise en cause partielle de certaines mesures ou à des adaptations qui pourraient installer cet assouplissement dans la durée.
Contrairement aux autres entreprises, les établissements bancaires ne doivent pas seulement résister à la crise : il leur est demandé de contribuer à l’effort collectif en finançant le secteur économique.
Des mesures spécifiques ont-elles été prises dans le secteur bancaire pour affronter cette nouvelle crise ?
Des mesures ont été prises à deux niveaux :
Au niveau européen, avec un allègement temporaire des exigences en matière de fonds propres et des contraintes opérationnelles qui a été décidé par la Banque centrale européenne, ainsi que l’apport d’un certain nombre de liquidités. Selon la BCE, cet allègement des exigences de fonds propres représente environ 120 milliards d’euros à l’échelle du secteur bancaire, somme qui pourrait être utilisée pour absorber des pertes ou financer potentiellement environ 1 800 milliards de prêts supplémentaires.
Des mesures de politique monétaire ont également été prises afin de fournir de la liquidité aux banques, telles que des opérations de refinancement à long terme supplémentaires (longer-term refinancing operations, LTRO) mises en place par la BCE ou encore l’octroi de conditions plus favorables pour des opérations ciblées de refinancement de long terme (Targeted longer-term refinancing operations -TLTRO III) sur la période juin 2020 - juin 2021. De telles mesures permettent de soutenir l’activité du système financier et d’encourager l’octroi de crédits aux entreprises, en particulier les PME. Les petites et moyennes entreprises sont en effet très dépendantes du financement bancaire. Or en France, le tissu économique (plus de 95%) est composé de PME.
Il y a eu également des mesures pour inciter les banques à la prudence, comme la recommandation de la BCE du 27 mars 2020 de ne pas verser de dividendes ni effectuer de rachat d’actions, afin de conserver des fonds propres nécessaires pour survivre à cette crise.
Enfin, l’Autorité bancaire européenne a décidé de reporter en 2021 les stress-tests européens qui devaient initialement avoir lieu en 2020, afin de permettre aux établissements bancaires de se concentrer sur l’octroi de crédit.
Au niveau national, parmi les mesures adoptées, on pense évidemment à la garantie des prêts par l’État (PGE), instituée par un arrêté du 23 mars 2020 et qui perdure jusqu’au 30 juin 2021. Cette mesure vise à garantir au minimum 300 milliards de financement bancaire. L’État se porte garant de tous les prêts octroyés aux entreprises à hauteur d’un pourcentage (70 %, 80 % ou 90 %) inversement proportionnel à la taille de l’entreprise emprunteuse. Cette mesure a deux impacts : le premier, c’est qu’elle incite les banques à prêter plus facilement mais pas à prêter “mal”, puisqu’elles conservent une partie du risque de crédit ; le second, c’est que prudentiellement, les établissements bancaires consomment peu de fonds propres lorsqu’ils octroient de tels prêts. Au 22 janvier 2021, le montant cumulé des demandes de prêts accordées par les banques s'élevait à 132,3 milliards d'euros.
Il existe également une garantie bancaire du renforcement de la trésorerie par BPI France, qui couvre à hauteur de 90 % (contre 50 % en temps normal) les crédits dédiés au renforcement des structures financières des TPE, PME et ETI. Il s’agit d’un type de prêt n’entrant pas dans le champ des PGE et qui est donc garanti par BPI France.
Enfin, la FBF (Fédération bancaire française) a, de sa propre initiative, indiqué qu’elle travaillait à mettre en place un certain nombre de mesures, telles que des procédures accélérées d’instruction des demandes de crédit pour les entreprises qui connaissaient des situations de trésorerie tendues, avec des délais de réponse d’au maximum cinq jours. Ainsi le secteur bancaire s’est spontanément organisé pour faire face à la crise et traiter les demandes malgré les difficultés.
Parmi ces mesures, il y a la décision du Haut Conseil de la Stabilité Financière (HCSF) qui a décidé de dispenser les banques de leur obligation de constituer des réserves de fonds propres afin d’encourager l’octroi de crédits aux entreprises. Pensez-vous que cette mesure soit prudente à long terme ?
Le Haut Conseil a en effet décidé, le 18 mars 2020, de relâcher intégralement, et jusqu'à nouvel ordre, le coussin de fonds propres bancaires contra-cyclique, qui représentait 0,25 % des actifs pondérés par les risques sur les expositions françaises des établissements de crédit, et devait atteindre 0,5 % à partir du 2 avril 2020.
Est-ce prudent à long terme ? Il est vrai que si la crise perdure, cette « cartouche » aura été utilisée. Néanmoins, lorsque l’on doit faire face à une crise, plus elle est endiguée rapidement, plus on a de chance de garder le contrôle de la situation. Il vaut généralement mieux agir fort très tôt plutôt que de mettre en œuvre une stratégie de goutte à goutte. Le « goutte à goutte » a été essayé pendant la crise des subprimes, mais cela n’a pas fonctionné et l’économie mondiale a mis des années à s’en remettre. Cette décision du HCSF paraît en tout état de cause cohérente avec l’objet même des coussins de fonds propres contra-cycliques qui consiste à constituer des réserves en période de prospérité pour pouvoir ensuite les utiliser en cas de crise.
Quels sont les risques que la crise sanitaire finisse par provoquer une nouvelle crise bancaire ?
Le comité européen du risque systémique a publié un communiqué le 20 décembre 2020 dans lequel il considère que la principale source de risque systémique dans l'Union européenne provient de l'impact négatif de la pandémie de COVID 19 sur l'activité économique, qui peut donner lieu à des défaillances généralisées dans le secteur privé, et de leurs répercussions sur le système financier. Le CERS précise que les mesures de soutien politique de grande envergure ont grandement contribué à atténuer l’impact de la crise sur les ménages et les entreprises et à contenir les retombées du secteur privé non financier sur le secteur bancaire. Néanmoins, il souligne - et on ne peut qu’être d’accord avec cette analyse - que plus la crise durera et plus son impact sera important pour les pays et les secteurs économiques, plus la détérioration de la qualité des actifs sera forte. Le CERS préconise aux banques d’être pro-actives en identifiant et en provisionnant le plus tôt possible les crédits “non performants”, c’est-à-dire les créances douteuses qui ont peu de chances d’être remboursées. Il appelle les pouvoirs publics à maintenir les mesures politiques de soutien jusqu’à la reprise économique, afin que l’économie puisse repartir sur des bases saines.
Ainsi, les deux questions qu’il faut se poser sont, à mon sens : 1) est-ce que les mesures prises par les gouvernements pourront durer suffisamment longtemps pour rejoindre la reprise économique ? 2) quelle sera l’ampleur de la reprise économique et est-ce qu’elle sera suffisante pour permettre à l’État de renflouer ses caisses et de récupérer l’ensemble des coûts mis en œuvre pour passer la crise ?
Il faut noter que les PGE ne sont pas gratuits : ainsi, si les entreprises remboursent leurs crédits dans une large proportion, cela peut constituer une opération neutre pour l’Etat, voire générer des gains pour les finances publiques ! En revanche, si la proportion de défaillances est importante, la situation sera plus problématique.
Combien de temps le secteur bancaire peut-il résister selon vous ?
Nous sommes dans une période économique particulière, avec des taux très bas, voire négatifs. Cette crise est intervenue alors que nous étions déjà dans une situation économique anormale. Je pense donc que, sauf à ce qu’il y ait une vague très importante de défaillances susceptibles de provoquer un effet domino, les mesures prises devraient permettre de résister assez longtemps. De plus, il est probable que si la situation empire, de nouvelles mesures de soutien soient adoptées, en particulier sur les questions de liquidité.
La difficulté tient au dosage des mesures de soutien. Il faut éviter que cela ne maintienne artificiellement en vie des entreprises qui étaient déjà en situation de grande fragilité avant la crise et ne les transforme en entreprises « zombies ». Les dernières études statistiques sur la question ne semblent pas indiquer d’explosion du nombre d’entreprises zombies en France. Cela démontre notamment que les acteurs économiques (et en particulier les banques) font leur travail d’analyse des risques correctement et que, malgré le contexte, les mesures de résilience et la sortie de crise semblent se faire de manière ordonnée.
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.