Avocat exerçant depuis 2008 dans plusieurs cabinets prestigieux, François Proveau étudie ici le contentieux de l’inaptitude professionnelle à l'aide des rapports d'analyse de Predictice.
A la lumière des nouvelles dispositions législatives en droit du travail, Maître François Proveau, Avocat au Barreau de Paris, vient nous parler des évolutions du contentieux de l’inaptitude du salarié, analyses de Predictice à l’appui !
Les dispositions légales relatives à l’inaptitude du salarié ont été remaniées ces dernières années. Qu’en est-il exactement et en quoi cela peut-il avoir un effet sur le nombre de contentieux ?
Les règles relatives à l’inaptitude physique du salarié ont effectivement connu des modifications législatives majeures, principalement avec la loi du 8 août 2016, dite Loi Travail.
Sur la question de l’inaptitude du salarié, les objectifs de cette loi étaient clairement affichés par le gouvernement d’alors qui souhaitait simplifier et clarifier un dispositif juridique souvent complexe et ainsi limiter les situations de blocages, et par conséquent les contentieux.
Si la Loi Travail a permis de clarifier certains aspects de l’inaptitude du salarié, notamment via l’alignement de la procédure de l’inaptitude d’origine non professionnelle sur la procédure d’origine professionnelle, cela ne s’est pas nécessairement traduit par une baisse globale des contentieux.
Sur Predictice, les chiffres traduisent une hausse du nombre de décisions traitant du contentieux relatif à l’obligation de reclassement entre 2017 et 2018. Le taux d’acceptation est passé de 56% en 2017 à 64% en 2018. S’agissant du début d’année 2019, on remarque également un taux d’acceptation important (56%) (Voir l’analyse sur Predictice.)
S’agissant du licenciement pour inaptitude professionnelle dépourvue de cause réelle et sérieuse, Predictice fait ressortir également une forte augmentation du contentieux entre l’année 2017 et 2018 :
📍Prenons l’exemple du reclassement du salarié inapte. Avant la Loi Travail, s’agissant d’un salarié dont l’inaptitude avait une origine professionnelle (accident du travail ou maladie professionnelle), l’employeur qui se trouvait dans l’impossibilité de proposer un poste de reclassement devait en informer le salarié par écrit avant l’engagement de la procédure de licenciement.
Cette obligation a été étendue aux travailleurs dont l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle. Si cela va bien dans le sens d’une harmonisation des procédures entre origine professionnelle et non professionnelle de l’inaptitude, cette harmonisation s’est faite au profit de la procédure la plus contraignante, et par conséquent, au profit de celle qui comporte le plus de risques de contestations. Sur ce point, il est permis de douter que l’harmonisation conduira à une diminution des contentieux.
Plus récemment, l’ordonnance n° 2017–1385 du 23 septembre 2017 a simplifié les obligations pesant sur l’employeur en matière de reclassement. Ainsi, cette ordonnance a redéfini le périmètre du groupe au sein duquel les postes de reclassement pouvant être proposés au salarié inapte devront être recherchés par l’employeur lorsqu’il appartient à un groupe : cette recherche de poste de reclassement doit désormais s’effectuer parmi les entreprises situées en France dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Qu’en est-il du rôle de la jurisprudence ?
La jurisprudence continue de jouer un rôle important dans l’appréhension des règles relatives à l’inaptitude dans la mesure où elle doit s’adapter aux évolutions législatives.
📍Par exemple, la contestation de l’avis médical d’inaptitude est désormais formée devant la formation des référés du Conseil de Prud’hommes. Les juges judiciaires sont donc amenés à traiter de contentieux auparavant dévolus aux juridictions administratives.
Plus récemment, depuis les ordonnances dites Macron, le périmètre de recherche de reclassement d’une société appartenant à un groupe international est désormais limité aux sociétés du groupe implantées sur le territoire français.
En parallèle, nous constatons une baisse du taux d’acceptation des demandes concernant la violation de l’obligation de reclassement entre l’année 2018 et 2019 :
De plus, les juridictions ont encore à connaître de situations qui sont nées sous l’empire des dispositions légales antérieures au 1er janvier 2017. Or, comme l’a rappelé logiquement la Cour de cassation dans une décision du 12 décembre 2018, les dispositions de la Loi Travail n’ont vocation pas à s’appliquer pour les situations antérieures à son entrée en vigueur.
Par ailleurs, le dispositif législatif n’a pas été complètement remis à plat et des dispositions antérieures à la Loi Travail continuent d’être applicables. En cela, la jurisprudence passée continue d’être éclairante et les juridictions continuent d’apporter des précisions et d’affiner leur position, notamment sur l’étendue de l’obligation de reclassement. La jurisprudence rendue sur la base du régime antérieur à la Loi Travail continue d’être transposable sur ce point.
Ainsi, dans une décision du 19 décembre 2018, la Cour de cassation a pu également préciser que sur la question du périmètre du reclassement, il appartient au salarié d’invoquer l’appartenance de la société à un groupe et que les juges ne peuvent pas soulever cette question d’office (Cass. Soc. 19 déc. 2018, n° 17–18.916).
Enfin, par trois décisions rendues en décembre 2018 et en janvier 2019, la Cour de cassation a également apporté des précisions sur la reprise du salaire du collaborateur inapte. Les dispositions légales, non modifiées par la Loi Travail, prévoient en effet que l’employeur doit reprendre le paiement du salaire du collaborateur qui n’est ni reclassé ni licencié dans le mois suivant la constatation d’inaptitude. Cela a donné et continue de donner lieu à de nombreuses décisions dont celles récemment rendues par la Cour de cassation et qui précisent que :
- La reprise de salaire est due jusqu’à la présentation de la lettre de licenciement et non jusqu’à son envoi (Cass. soc., 12 déc. 2018, n° 17–20.801) ;
- Dès lors que l’indemnité de congés payés est due en raison du maintien du salaire antérieur à la suspension du contrat de travail, la prime de vacances liée à cette indemnité de congés prévue par la convention collective est également due (Cass. soc., 5 déc. 2018, n°17–18.170) ;
- Les indemnités de repas, de salissure et de remboursement de frais de transport correspondant au remboursement de frais engagés par le salarié pour exécuter sa prestation de travail ne constituent pas un élément de la rémunération à prendre en compte dans le salaire à maintenir (Cass. soc., 23 janvier 2019, n°17–18.771). La Cour de cassation précise là les éléments de rémunérations à prendre en compte après avoir déjà indiqué par le passé que la reprise du salaire devait inclure le salaire de base, les majorations pour heures supplémentaires ainsi que la partie variable (Cass. soc., 4 avril 2012, n°10–10.701 et Cass. soc., 16 juin 1998, n°94–41.877). Ces décisions, par exemple, continuent de s’appliquer.
En dépit de la volonté de sécuriser et de clarifier le dispositif de l’inaptitude physique du salarié, il est probable que les contentieux vont continuer d’être nombreux. En 2015, la Cour de cassation avait à connaître en moyenne vingt dossiers d’inaptitude chaque mois.
En 2018, la Cour de cassation s’est prononcée sur 223 décisions relatives à l’inaptitude du salarié, soit 19 dossiers par mois (Consulter les décisions rendues en 2018 sur Predictice.)
Diplômée en droit, Julia est en charge de la formation et de l'accompagnement des utilisateurs de Predictice.