Harcèlement : valeur de l’enquête interne menée par l’employeur

20 octobre 2022

4 min

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Clarisse Perrin, avocate au Barreau de Paris, revient sur deux arrêts rendus par la Chambre sociale près de la Cour de cassation les 1er et 29 juin 2022.

 

L’obligation de sécurité contraint l’employeur à agir face à une dénonciation de faits de harcèlement moral ou sexuel

En effet, tout employeur doit prendre, à l’égard de ses salariés, toutes les mesures visant à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale. Cela doit passer par des mesures de prévention, mais aussi de protection (articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail).

 

En matière de harcèlement sexuel, le législateur rappelle que l’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir un tel harcèlement, d’y mettre fin et de les sanctionner (article L. 1153-2 du Code du travail). Une telle obligation de prévention est également prévue dans l’hypothèse d’un harcèlement moral (article L. 1152-4 du même Code).

 

Dès lors, toute dénonciation de faits de harcèlement de la part d’un salarié ne doit pas être passée sous silence, même si l’employeur l’estime infondée. La meilleure solution à envisager pour l’employeur est la mise en place d’une enquête afin de faire la lumière sur les faits dénoncés.

 

Faute de définition légale ou jurisprudentielle de l’enquête, il appartient à l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, de définir son périmètre ainsi que son contenu.

 

Sa mise en place devra être guidée par les principes de loyauté, d’impartialité et de délicatesse. Son unique objectif est de déterminer si les termes de la dénonciation sont réels. L’employeur peut naturellement s’appuyer sur les recommandations de l’ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail.

 

Dans ces conditions, l’employeur peut seul ou en concertation décider des personnes qui mèneront l’enquête, telles que notamment les salariés du service des ressources humaines, les représentants du personnel ou encore un tiers extérieur (Cass. Soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597).

 

Il pourra également délimiter son étendue, en indiquant le nombre de personnes qu’il lui semble nécessaire et utile d’interroger (Cass. Soc. 8 janvier 2020, n° 18-20.151) ainsi que les documents qu’il convient de vérifier. Là encore, l’employeur devra faire preuve de loyauté dans la délimitation du champ de l’enquête. Il ne me semble pas envisageable d’exclure les témoignages des seuls salariés qui pourraient confirmer les termes de la dénonciation.

 

Par ailleurs, l’arrêt du 1er juin 2022 (Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-22.058) confirme ce pouvoir de direction donné à l’employeur.

 

Dans cette affaire, un salarié désigné comme l’auteur de faits de harcèlement moral contestait son licenciement pour faute grave, cette dernière reposant sur l’enquête diligentée par la Direction des ressources humaines de l’entreprise.

 

Pour tenter d’exclure cette enquête des débats, il estimait notamment que, faute d’avoir été établie par les représentants du personnel et faute d’avoir entendu l’intégralité des salariés, le rapport rendu ne pouvait constituer une preuve établissant la matérialité des faits de harcèlement moral.

 

La Cour d’appel faisait droit à son argumentation et refusait d’examiner le contenu du rapport d’enquête aux motifs que :

 

  • L’enquête n’avait pas été diligentée par le CHSCT (aujourd’hui le CSE) ;
  • Seuls huit salariés sur les 20 composant le service concerné avaient été entendus ;
  • L’employeur ne démontrait pas sur quels critères objectifs il avait sélectionné les témoins.

 

Sur le fondement de l’article 455 du Code de procédure civile, la Cour de cassation estime au contraire que la Cour d’appel ne pouvait écarter le rapport d’enquête, celui-ci constituant un mode de preuve parfaitement valable.

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour de cassation, Chambre Sociale, 1 juin 2022, n° 20-22.058

 

L’enquête n’a donc pas à être diligentée par des représentants du personnel et l’employeur peut définir son périmètre, si celui-ci permet de vérifier de la réalité de la dénonciation.

 

Cette latitude donnée à l’employeur est donc le reflet de son pouvoir de direction, celui-ci étant tout de même circonscrit par notamment ses obligations de loyauté et de sécurité à l’égard de ses salariés.

 

En tout état de cause, il me semble nécessaire de rappeler que les conclusions de l’enquête devront l’amener à réagir.

 

En effet, dans l’hypothèse où les faits dénoncés ne sont pas corroborés par les éléments objectifs recueillis, il devra comprendre les raisons pour lesquelles le salarié a effectué une telle dénonciation afin de résoudre les difficultés qu’il estime rencontrer.

 

Et, dans l’hypothèse où l’enquête conduirait à leur confirmation, l’employeur aura l’obligation de faire cesser immédiatement les agissements dénoncés (Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19.702). Il devra prendre toutes les mesures appropriées, un licenciement pour faute de l’auteur des faits étant généralement la seule issue.

 

Ce salarié, s’il entend contester les termes du rapport d’enquête et donc sa lettre de licenciement, pourra attraire son ancien employeur devant les juridictions prud’homales.

 

L’auteur du harcèlement ne bénéficie pas du régime probatoire aménagé de l’article L. 1154-1 du Code du travail.

En effet, en matière de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, le Code du travail prévoit un régime probatoire « allégé » à l’égard du salarié s’estimant victime de tels actes.

 

Il appartient à ce dernier de présenter aux juges des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel. Dans l’hypothèse où le juge estime qu’il existe une présomption de harcèlement, l’employeur devra démontrer que les faits évoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Toutefois, ce principe probatoire n’est pas transposable à l’auteur des faits de harcèlement, le régime de droit commun s’appliquant.

 

C’est ce que précise la Cour de cassation dans son arrêt du 29 juin 2022 (Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11.437).

 

Après avoir rappelé que la preuve en matière prud’homale est libre, la Haute juridiction précise « qu'en cas de licenciement d'un salarié à raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral, le rapport de l'enquête interne (…) peut être produit par l'employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. »

 

Il appartiendra ainsi aux juges du fond, dès lors que les investigations ne sont pas illicites, d'en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties.

 

En l’espèce, deux salariées d’une entreprise avaient dénoncé des faits de harcèlement moral et sexuel commis par leur supérieur hiérarchique. L’employeur avait diligenté une enquête conduisant à matérialiser les faits dénoncés, le supérieur hiérarchique les ayant même reconnus. La Société le licenciait donc pour faute grave et celui-ci contestait la mesure d’éviction de la juridiction prud’homale.

 

La Cour d’appel jugeait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse selon la motivation suivante : « Selon le rapport de l'inspection générale en date du 26 janvier 2015, une salariée a décrit « des propos récurrents à connotation sexuelle » tels que des propos « graveleux et déplacés sur son physique, ses tenues vestimentaires ou celles de collègues, sur les seins de sa femme », qu'une autre salariée dénonce une pression quotidienne et des reproches permanents, M [D] lui ayant notamment « avoué être contre sa titularisation » lors de son entretien annuel d'appréciation en 2013 et qu'elle évoque également une réflexion du salarié sur son décolleté. L'arrêt retient toutefois que la durée de l'interrogatoire de M. [D] n'est pas précisée, pas plus que le temps de repos, que seules les deux salariées qui se sont plaintes de son comportement ont été entendues, que cette audition a été commune, que l'ensemble de ces éléments et notamment le caractère déloyal de l'enquête à charge réalisée par l'inspection générale, sans audition de l'ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits dénoncés par les deux salariées, sans information ou saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ne permet pas d'établir la matérialité des faits dénoncés et de présumer d'un harcèlement sexuel ou d'un harcèlement moral ».

 

La Cour de cassation casse cet arrêt aux motifs que la juridiction de second degré ne pouvait écarter des débats le rapport d’enquête interne, sans examiner l’intégralité des éléments de preuve produits par l’employeur aux débats, tels que les comptes-rendus des entretiens avec les salariés entendus dans le cadre de l'enquête interne ainsi que les attestations recueillies.

 

LIRE LA DÉCISION >> Cour de cassation, Chambre Sociale, 29 juin 2022, n° 21-11.437

 

Elle se fonde sur la liberté de la preuve en matière prud’homale, dès lors qu’aucune disposition légale ne prévoit un régime probatoire différent. Elle rappelle l’office du juge, à savoir examiner l’ensemble des éléments de preuve qui lui est soumis dans le cadre de la communication des pièces entre les parties. 

 

Cette solution est, à mon sens, salutaire puisqu’il serait surprenant d’accorder au salarié licencié une charge de la preuve allégée. La Cour de cassation confirme ainsi sa précédente jurisprudence en la matière (Cass. Soc. 7 février 2012, n° 10-17.393) et renforce l’obligation pour l’employeur de mener une enquête à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral ou sexuel afin tant de satisfaire à son obligation de sécurité que de justifier de la faute ayant fondé le licenciement du harceleur.

 

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Clarisse Perrin

Depuis plus de 8 années, j’accompagne et assiste mes clients sur des sujets de droit social (relations individuelles et collectives) et de sécurité sociale (contestation AT/MP et faute inexcusable). Mon objectif est de solutionner, avec professionnalisme et humanité, leurs problématiques.

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