En quoi l’IA juridique, comme celle de Predictice, révolutionne-t-elle la pratique des juristes et avocats ? Chloé Cargnino, enseignante et chercheuse en droit, partage son éclairage sur les enjeux du droit d’auteur face à cette technologie et les opportunités qu’elle offre aux professionnels du secteur.
Bonjour Chloé. Pouvez-vous vous présenter ? D'où vient votre attrait pour le droit de la propriété intellectuelle ?
Je m'appelle Chloé Cargnino, je suis doctorante et chargée d'enseignement à la faculté de droit d'Aix-Marseille Université (AMU). Depuis toujours, je suis passionnée par l'art, la littérature, la musique et la philosophie. C'est au prisme de la philosophie que j'ai découvert le droit. J'ai immédiatement pris plaisir à l'étudier. En troisième année de licence, un cours sur le droit des biens m’a permis de découvrir qu’il était possible de protéger les créations de l’esprit.
Depuis, le droit de la propriété intellectuelle est devenu un domaine qui allie mes passions pour le droit et les créations artistiques. J'en ai donc logiquement fait ma spécialisation, d'abord en Master 2, puis en doctorat. J’ai eu la chance d’intégrer une équipe d’enseignants brillants au sein de mon laboratoire de recherche.
Actuellement, je suis en quatrième année et je rédige ma thèse sur les droits d'auteur et les jetons non fongibles (NFT). Mes recherches sont transversales et explorent notamment l'intelligence artificielle (IA) et ses implications pour le droit d'auteur. Enfin, j'ai aussi pratiqué le droit. J'ai effectué plusieurs stages, dont un aux Éditions Actes Sud en droit d'auteur et un autre dans un cabinet d'avocat spécialisé en PI et nouvelles technologies. J'ai également eu l'honneur de rejoindre la direction juridique d'une Maison de haute joaillerie à Paris où j’ai pu découvrir l’univers du luxe et du savoir-faire Français.
Comment définissez-vous l’IA et quel est son lien avec le droit ?
L’IA est une notion multiforme puisqu’elle regroupe plusieurs termes en son sein. Techniquement, l’IA est un système de traitement de données qui est en mesure de s’améliorer en permanence. L’IA est un logiciel, un ensemble de code source, un programme informatique qui reproduit ce que l’Homme a programmé en amont. Par l’entrainement, c’est-à-dire par machine learning ou deep learning, l’IA est capable de s’autoalimenter. Elle est aussi mono-tache, à savoir qu’elle peut être très puissante certes, mais dans un seul domaine, par exemple le droit.
Le terme « intelligence » émane des réflexions du mathématicien Alan Turing, qui se demandait en 1950 si un ordinateur pourrait un jour penser comme nous, ou s’il n’était capable que d’un « jeu d’imitation ». Je pense sincèrement que le terme « intelligence » est trompeur, car dans les pays Anglos saxons, cela n’a pas la même résonance que chez nous.
L’IA permet d’assister et de reproduire ce qu’on lui demande de faire, mais l’intervention humaine est nécessaire pour coder et améliorer l’IA. Les algorithmes travaillent ensemble et viennent créer des masses de données colossales qui fonctionnent aussi entre elles. Pour parvenir à donner une véritable définition de l’IA, il faut arriver à étudier les différentes couches de l’IA et égrainer des raisonnements juridiques adaptés.
Quels défis l’IA pose-t-elle en matière de droit d’auteur ?
C’est principalement l’IA générative qui est au cœur des débats aujourd’hui. Cette technologie, entraînée sur des données souvent issues du web scraping, pose des défis inédits au droit d’auteur, notamment lorsque ces données ne sont pas libres de droits. Par exemple, lorsqu’une IA génère un contenu, il peut être difficile de déterminer si ce contenu respecte les droits des auteurs. Aussi, il est nécessaire d’anticiper les éventuelles hallucinations qui peuvent être des limites à l’utilisation de l’IA.
Pour encadrer ces usages, le cadre européen s’organise progressivement. L’IA Act, par exemple, vise à réguler l’utilisation de l’IA tout en protégeant les utilisateurs contre des abus potentiels. C'est important, puisqu'à mon sens, lorsqu’elle est bien encadrée et utilisée de manière responsable, l’IA devient un outil précieux pour les professionnels du droit.
Loin de remplacer l’Homme, l’IA optimise son travail : elle automatise des tâches répétitives et fastidieuses, permettant ainsi aux juristes et avocats de se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée.
Vous le savez mieux que personne, puisque votre outil permet justement aux juristes et avocats de gagner du temps dans leur recherche jurisprudentielle et doctrinale, la rédaction de documents juridiques, etc.
Justement, comment le droit d'auteur appréhende-t-il l'IA ?
En France, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle et opposable à tous. Le Code de la propriété intellectuelle protège les créations qui émanent de l’esprit. Dès lors, il est évident que si une œuvre est reprise ou reproduite, l’auteur doit donner son accord.
L'IA générative (IAG) repose sur l'input, qui se base sur des données initiales déjà intégrées par les utilisateurs ou les créateurs de l'IA. Il est nécessaire pour l'utilisateur d'obtenir au préalable, l'autorisation de l'auteur initial pour utiliser ses œuvres. Or, très souvent, cela n'est pas le cas. Toujours est-il que les données output, qui sont le résultat du contenu généré par l'IA, ne peuvent pas être exploitées sans autorisation préalable des auteurs des données.
Rapidement, on se demande comment l'auteur peut contrôler et surtout, anticiper l'utilisation de ses œuvres par l'IA ? Chose incroyable, le droit de retrait ou opt out (exception à une autre exception) permet au titulaire de s'opposer, par tout moyen (article R. 122-28 du Code de la propriété intellectuelle), à l'utilisation non consentie de ses œuvres.
L’IA peut-elle être un outil de création à part entière ? Peut-elle être considérée comme auteur d'une œuvre ?
L’originalité d’une œuvre de l’esprit est un critère jurisprudentiel. Pour être protégée, l’œuvre doit être formalisée et originale. La conception objective de l’originalité se traduit par « l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans son œuvre ».
Lorsque l’artiste collabore avec une IA, son rôle reste central : l’IA agit comme un outil, mais ne peut rien produire sans intervention humaine. Je parle ici d’un « outil optimisé », capable d’amplifier les possibilités créatives. Par exemple, elle peut suggérer des idées ou ouvrir de nouvelles pistes artistiques, mais la démarche créative reste guidée par l’artiste.
Finalement, et cela fonctionne pour tous les métiers, la question n’est pas de savoir si l’IA est en mesure de créer comme l’artiste, mais plutôt comment l’artiste peut créer avec.
Cela soulève également la question de la titularité des droits d’auteur : à qui appartient l’œuvre finale ? La réponse dépend des conditions générales d’utilisation (CGU) de la plateforme IA concernée. En revanche, une chose est certaine. En vertu d'une obligation de transparence, l’intervention de l’IA dans le processus de création doit impérativement être mentionnée.
Enfin, de nombreux experts s'interrogent : faut-il créer un régime ad-hoc pour l’IA en droit d’auteur ? Je n'y suis pas favorable. L'article L112-2 (CPI) liste déjà toutes les œuvres qui peuvent être considérées comme des "œuvres de l'esprit" et protégeables par le droit d'auteur. Sachant qu'elle est non exhaustive, on pourrait imaginer l'intégration de la notion d'œuvre générée par l'IA, ainsi que d'une définition de celle-ci. Selon moi, le CPI et le Code civil sont suffisamment bien écrits pour englober la technologie.
Comment l'outil développé par Predictice peut-il aider les juristes à gagner en efficacité et en précision dans leurs analyses ?
Sur le plan organisationnel, l'IA juridique de Predictice constitue un véritable atout pour les professionnels du droit. Elle permet de déléguer des tâches chronophages, comme la recherche jurisprudentielle ou doctrinale, à la machine. Cela libère du temps pour les avocats et juristes, leur permettant de se concentrer sur des missions à forte valeur ajoutée. Évidemment, la science du prompt doit être étudiée et maîtrisée pour profiter au maximum des effets de l’IA.
L’idée est de repenser l’organisation à l’ère de l’IA. La Direction juridique est en réalité une entreprise dans l’entreprise, elle a besoin de s’organiser. Grâce à l'IA, elle peut conseiller de manière plus efficace les nombreux services (marketing, communication...), d'autant que Predictice offre l'opportunité de regrouper en son sein des millions de documents.
La digitalisation accompagne le changement, je pense que tout juriste doit prendre le temps de s'intéresser à l'IA. En revanche, l’IA ne remplacera pas le juriste, je le pense sincèrement. Finalement, tout passe par l’accompagnement et la compréhension de l’outil. C'est un peu ce que je dis à mes étudiants ; vous pouvez disposer des codes juridiques en examens, mais si vous ne savez pas les utiliser correctement, vous ne pourrez pas en tirer profit à 100%.
La bonne chose avec l'IA, c'est qu'elle va probablement pousser les juristes et avocats à essayer de devenir meilleurs que les autres, et donc à se surpasser pour montrer leur valeur ajoutée par rapport à la machine, ou à ceux qui ne la maîtrisent pas. Les professionnels du droit ne doivent pas rater le virage de l'IA pour ne pas se retrouver en décalage avec ceux qui l'utilisent.
Vous enseignez à de jeunes juristes. Préparez-vous vos étudiants à utiliser l’IA dans leur futur métier ? Les formez-vous ?
À ma connaissance, les facultés de droit ne proposent pas de formations spécifiques sur l’IA juridique. Cependant, ce n'est pas un mal. En effet, je m’oppose à l’utilisation de l’IA par mes étudiants pour rédiger un devoir maison. Je les invite à apprendre les sources du droit et à comprendre la logique du législateur et celle du juge. Un bon juriste connaît ses bases et sait comment les utiliser. Le droit n’est pas binaire, le résultat va dépendre de plusieurs éléments. Tout est une question de nuance.
Il arrive parfois que des étudiants me questionnent sur l’utilisation de l’IA en droit. Je pense que le rôle d’un enseignant est de responsabiliser les étudiants face à l’IA, de garder un sens critique. Lorsqu'ils seront professionnels, maîtriseront le droit, là ils pourront utiliser des outils adaptés, comme votre IA Assistant. Mais l’apprentissage du droit ne se fait pas avec l’IA, j’en suis fermement convaincue. Il faut du temps pour assimiler la matière, se l’approprier et in fine, pouvoir la retranscrire afin de résoudre un problème juridique.
Pensez-vous que l’IA ait sa place dans la recherche académique, notamment en droit ?
L'IA peut être un assistant pour des tâches redondantes, mais elle n'est pas la bienvenue dans la recherche approfondie, elle connaît des limites. On voit de plus en plus d’ouvrages rédigés grâce à l’IA dont le vocabulaire utilisé est toujours le même, la qualité des écrits n’y est pas. De fait, je pense que l’IA ne peut pas remplacer un véritable auteur. Écrire est un art et nécessite de la recherche. Dans mon travail de thèse, je dois égrainer, chercher, lire et réfléchir à des raisonnements particuliers. La recherche en droit demande de s’attaquer à des dogmes juridiques, philosophiques, historiques, politiques… L’IA n’est pas en mesure de lire ce que je lis ni de réfléchir à ma place. L'IA a vrai intérêt pour les professionnels du droit mais n’a pas sa place dans la recherche juridique.
Pour conclure, à long terme, pensez-vous que les outils d’IA juridique bouleverseront la pratique des professionnels du droit ?
Je pense que le juriste de demain saura s'approprier les outils d'IA juridique, comme il s'approprie un Code. Selon moi, les juristes sont suffisament formés pour savoir quand l'IA peut leur être profitable, et quand l'expertise humaine est irremplaçable. Je suis plutôt optimiste vis-à-vis de l'avenir des professionnels du droit accompagnés par l'IA. Sous réserve que d'une part, ils soient bien formés par leur structure, et que d'autre part, ils l'utilisent comme un assistant tout en exerçant l'esprit critique qui leur est propre.
L’IA n’est pas une émanation de l’Homme. C’est un puissant outil d’optimisation qu’il est possible d’utiliser à bon escient. L’être humain doit toujours garder son aptitude à se déterminer librement et par lui seul, pour agir et penser sans aucune menace ou contrainte.
Content Marketing Officer - Predictice