Olympe de Gouges, la première femme à penser l’altérité juridique

16 juillet 2020

5 min

Olympe de Gouges
Convaincue que la loi ne peut être légitime si elle exclut la moitié du genre humain, Olympe de Gouges lutta toute sa vie pour les droits des femmes et des esclaves.

D’Olympe de Gouges, on retient avant tout son oeuvre, plus particulièrement La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, miroir de la Déclaration des droits de l’homme. On retient également sa fin, la guillotine. Une fin logique pour une agitatrice, à une époque où les têtes tombaient très facilement.

 

Qui était Olympe de Gouges ?

Olympe de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze, est née en 1748 dans une famille de riches bourgeois de Montauban. La légende (entretenue par elle) veut qu’elle ait été la fille naturelle de Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, marquis et poète, et disciple de son grand-père.

 

Mariée à 17 ans à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, son mari décéda un an après son mariage, après qu'elle eut donné naissance à un fils, Pierre. Son statut de veuve lui permit de bénéficier du statut accordé aux femmes mariées, sans avoir à subir une tutelle maritale. Elle monta à Paris au début des années 1770, et commença à mener une vie libre tout en se consacrant à la littérature. Portée vers le théâtre, elle monta sa propre troupe et fit entrer au répertoire de la Comédie-Française en 1785 sa pièce Zamore et Mirza, ou l’Heureux naufrage, dans laquelle elle dénonçait le sort des esclaves noirs dans les colonies, ce qui lui valut un bref séjour à la Bastille. S’ensuivit une soixantaine de pamphlets politiques, parmi lesquels Remarques patriotiques, par l’auteur de la Lettre au Peuple, qui développe un programme de réformes sociales.

 

En 1791, elle rédigea la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, et poursuivit son combat pour le droit des femmes à travers des pièces de théâtre comme Le Couvent ou les voeux forcés. Plaidant pour le divorce et la reconnaissance des enfants nés hors mariage, elle demanda la création de maternités, afin de permettre aux femmes d’accoucher dans des conditions dignes.

 

Indignée par les massacres des 2 et 3 septembre 1792, elle interpella Robespierre sur la montée de la dictature montagnarde. Elle finit guillotinée à l’âge de 45 ans.

 

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L'auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)

 

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

 

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est écrit en réaction à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui marquait l'entrée des hommes du peuple dans la citoyenneté et la vie politique. Malgré la participation active des femmes à la Révolution en 1789, qui avaient ramené « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » à Paris, elles étaient maintenues à l'écart de la vie publique, la majorité des révolutionnaires refusant qu'elles s'arment ou qu'elles bénéficient du droit de vote. Ainsi l'abbé Sieyès les classa dans la catégorie des citoyens passifs, au même titre que les enfants, les domestiques et tous ceux qui ne pouvaient s'acquitter du cens électoral. L'Assemblée nationale acta cette distinction par la décision du 22 décembre 1789, décision confirmée par la Constitution de 1791 puis par un vote de la Convention nationale le 24 juillet 1793.

 

Afin de dénoncer cet état de fait, Olympe de Gouges rédigea un pastiche, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qu'elle tenta en vain de soumettre au vote de l'Assemblée nationale. 

 

Dans son ensemble, la Déclaration d'Olympe de Gouges est très proche de son modèle. Néanmoins, son préambule est plus étoffé, et certains articles diffèrent sensiblement.

 

Un préambule étoffé

Placé implicitement sous l'influence de Jean-Jacques Rousseau par le refus de la force comme justification de l'oppression, le Préambule justifie les droits des femmes en se fondant sur deux considérations : en premier lieu, Olympe de Gouges invoque les lois de la Nature. Fidèle à l’esprit de Rousseau, elle évoque la coopération harmonieuse et naturelle des sexes, à laquelle l’oppression des femmes du genre humain constitue une exception. Elle répond ainsi à tous ses détracteurs, qui l'accusaient de ne pas rester à la place que la Nature a donnée aux femmes.

 

En second lieu, elle affirme que les femmes ont reçu toutes les facultés intellectuelles. C'est ainsi qu'elle reprend à son compte les fondements philosophiques des droits tels qu’ils étaient pensés à l’époque des Lumières, qui s’appuyaient sur la raison pour justifier la sortie de l’état permanent de minorité (on notera que Kant, dans Qu’est-ce que les lumières ?, avait inclus le sexe faible dans la catégorie des individus doués d’entendement et par là-même appelés à intégrer l’état de majorité). Par conséquent, puisque les femmes sont douées de raison, elles sont appelées à être sujets de droits, au même titre que les hommes.

 

En conclusion, la Déclaration reprend celle de son modèle, tout en détournant habilement son sens  : « l’ignorance, l’oubli et le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». 

 

La revendication féministe est argumentée par deux procédés : soit par ajout, c'est-à-dire que la Déclaration des droits de la femme reprend son modèle et ajoute aux articles le terme « les femmes » afin de pointer du doigt une exclusion estimée comme injustifiée ; soit les références à l'oppression politique sont détournées afin de dénoncer l'oppression masculine sur les femmes.

 

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Une Déclaration pour tout le genre humain

Le titre « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » est trompeur. En effet, pour l’essentiel des dispositions, Olympe de Gouges reprend la Déclaration des droits de l’homme et étend les droits énoncés aux femmes. C’est ainsi que dans un esprit quelque peu… macroniste (« je m’adresse à toutes et à tous »), nombre de dispositions sont reprises mot pour mot avec le seul ajout d’une précision : les droits énoncés concernent également les femmes. Ainsi en est-il de l’article 2, qui énonce dans la Déclaration des droits de l'homme : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ; ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. » Cet article est repris mot pour mot dans la déclaration des droits de la femme, avec la seule mention « des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme ». Sur dix-sept articles, le procédé concerne en tout onze articles. Ainsi, pour l’essentiel, la Déclaration des droits de la femme est en réalité une déclaration pour le genre humain.

 

Ce procédé joue sur l’ambiguïté sémantique que la langue française entretient sur le terme « homme » : ce dernier peut désigner le genre humain ou les individus de sexe masculin. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948, concerne tous les êtres humains et non un sexe particulier (on notera que l’article 1er prend soin de préciser que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »).

 

La démarche d’Olympe de Gouges, apparemment redondante, met en lumière la double nature des concepts juridiques : ils sont à la fois fruit de l’observation du monde et réalités créatrices. Cela tient au fait que le droit a la double fonction de réguler et de dessiner la trame du monde social au moyen d’injonctions. Ainsi, la catégorie juridique peut réguler des rapports sociaux qui ont leur origine dans la nature : la filiation par exemple ; en revanche, elle crée sa propre réalité lorsqu’il s’agit des faits purement sociaux : c’est le cas du mariage. Parfois, la catégorie dépasse le fait naturel qu’elle régule pour en devenir elle-même la source : c’est le cas du lien de filiation dans les pays qui permettent aux couples homosexuels d’avoir des enfants. Dans le cadre de la Déclaration, la démarche redondante d’Olympe de Gouges, qui distingue les femmes et les hommes là où le terme d’homme pourrait désigner le genre humain dans son ensemble, met en lumière l’injustice de la démarche qui consiste à exclure de la catégorie juridique « homme » les individus de sexe féminin.

 

Le droit des femmes à ne plus être soumises au joug tyrannique des hommes

Les autres articles (1, 4, 11, 13 et 16) repensent les notions affirmées à l’aune de l’inégalité femme/homme.

 

Ainsi, les principes d’égalité et de liberté énoncés à l’article 1 sont reformulés afin d’affirmer l’égalité entre les sexes.

 

La définition des limites de la liberté à l’article 2 est redéfinie d’un point de vue féminin et appréciée à l’aune du rapport déséquilibré entre les hommes et les femmes : « l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ».

 

L’article 11, qui énonce la liberté d’expression, est l’occasion pour Olympe de Gouges d’exprimer ses revendications concernant la reconnaissance des enfants adultérins : « toute citoyenne peut donc dire librement je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ».

 

L’article 13, qui évoque dans la Déclaration des droits de l’homme le principe de la contribution au niveau national, est repris pour réclamer la possibilité pour les femmes d’avoir un rôle dans la sphère publique.

 

Enfin, Olympe de Gouges complète l’article 16 de la déclaration « originale », qui énonce les conditions d’une Constitution (garantie des droits et séparation des pouvoirs), en pointant la nullité de cette Constitution « si la majorité des individus qui composent la Nation n’ont pas coopéré à sa rédaction ».

 

Bien que pastiche, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne pose la question de la légitimité du droit lorsque la moitié du genre humain en est exclue. 

 

Le souci de la démocratie causa sa perte : en effet, en 1793, elle rédigea une affiche, « Les Trois urnes ou le Salut de la patrie », qui proposait une élection afin de permettre au peuple de choisir entre une République une et indivisible, une République fédéraliste et le retour à la monarchie constitutionnelle. En proposant ce troisième choix, elle viola le décret de la Convention nationale du 19 mars 1793 (voir l'illustration ci-dessous), fut arrêtée le 20 juillet 1793 par les Montagnards et guillotinée le 2 novembre, quelques heures après un interrogatoire sommaire. 

 

loi du 19 mars 1793

 

Elle fut la deuxième femme à être guillotinée pendant la Révolution, après Marie-Antoinette.

 

Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur les grandes figures féminines du droit français.
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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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