L’indispensable fonction de documentaliste à l’ère du numérique

25 mars 2019

5 min

Mireille Audolly-Youssef Predictice
Interview de Mireille Audoli-Youssef, Research & Library Manager chez Latham & Watkins, qui nous éclaire sur les évolutions récentes de sa fonction.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Après des études d’Histoire de l’Art à l’Ecole du Louvre et d’Histoire, j’ai obtenu un Master en Sciences de l’information et de Documentation à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; à l’époque, c’était une des seules formations « littéraires » professionnalisante car nous devions effectuer un stage durant toute l’année scolaire en part time.

 

C’était également un des premiers Masters à s’intéresser aux NTIC (comme nous le disions à l’époque), à la gestion et administration des sites internet (c’était en 1998–1999) et à la transformation numérique.

 

Dans quelles structures avez-vous exercé ? Depuis combien de temps êtes-vous documentaliste juridique ?

J’ai débuté ma carrière dans un cabinet d’avocats (un des « Big 4 »), au départ pour apporter mes connaissances en gestion de site Internet et j’y suis restée près de 5 ans en tant que documentaliste juridique. J’y ai tout appris !

 

J’ai ensuite travaillé pendant près de 2 ans pour un éditeur juridique 100% internet, ce qui était une révolution au début des années 2000 ; j’ai adoré l’esprit « start-up » de cette entreprise, l’ambiance incroyable et avoir le sentiment d’être au début de quelque chose de totalement nouveau.

 

Après plus de 14 ans dans un Cabinet d’avocats (plus de 80 avocats) en qualité de responsable de la documentation et des aspects de communication digitale (site internet, intranet, réseaux sociaux), je suis aujourd’hui Research & Information Manager dans l’une des plus grosse structure mondiale, d’origine américaine.

 

Cela fait donc 20 ans que j’exerce la profession de documentaliste juridique, au sens large du terme.*

 

Quel est votre rôle et quelles sont vos missions en tant que Responsable d’une bibliothèque de grand cabinet ?

Mon rôle consiste à faire gagner du temps aux avocats et leur apporter l’information la plus fiable et experte en des temps records !

 

Pour cela, il faut gérer un fonds documentaire papier et numérique, gérer les contrats avec les éditeurs, se tenir informé des évolutions de l’offre sur le marché de la documentation juridique, être toujours en alerte, notamment en assurant des veilles juridiques et économiques.

 

L’essentiel de mon temps est consacré à la recherche documentaire pour les avocats, sur des sujets souvent très complexes).

 

Notre rôle aujourd’hui consiste pour une grande partie à la formation des avocats et stagiaires aux bases de données en ligne des principaux éditeurs juridiques.

 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées face à la complexification de l’information et à l’augmentation de la donnée jurisprudentielle ?

 

Le TRI ! il faut savoir faire le tri entre toutes ces informations ! Nous sommes dans une ère d’infobésité et tout le monde pense que c’est facile de trouver l’information, qu’elle est à disposition et donc plus besoin des documentalistes !

 

Or, plus que jamais, un documentaliste sait comment trouver rapidement une information fiable ; le nombre de stagiaires qui reviennent auprès des avocats avec des recherches « Google »… !

 

Mais l’accès à toutes ces informations est aussi une chance !

 

Quels problèmes rencontrez-vous le plus souvent dans la gestion de la bibliothèque et du budget ?

Je dois avouer que j’ai de la chance dans mon cabinet, j’arrive à gérer la bibliothèque avec un budget correct. Mais il devient de plus en plus difficile, dans ce contexte d’accès global à l’information, d’expliquer que l’information a un coût. Les associés auraient tendance à penser que l’accès à l’information est gratuit et les coûts parfois très élevés de certaines bases de données juridiques sont difficiles à défendre.

 

En quoi le numérique est-il aujourd’hui indispensable pour le métier de documentaliste juridique ?

Le gain de place, de temps et la possibilité de travailler de n’importe où.

 

 

 

Je dois, très souvent, gérer différentes recherches en même temps, dans des pratiques du droit différentes et sans les outils numériques, cela serait très compliqué.

 

De plus, les cabinets ont restreint ces dernières années le nombre de leur personnel support et la fonction documentaire est souvent occupée par une seule personne ; le gain de temps est donc essentiel. Il faut trouver l’information rapidement, la « digérer » pour la diffuser aux avocats.

 

Le papier reste, malgré tout, un support très apprécié et ce, quelle que soit la génération, ce qui m’étonne toujours. Et le papier permet l’échange entre le documentaliste et les avocats au sein de la bibliothèque.

 

Comment imaginez-vous l’avenir de votre profession ? Quels sont selon vous les grands changements à venir ?

Le numérique transforme également le métier de documentaliste qui devient un spécialiste des outils numériques de recherche d’information juridique et aussi un formateur.

 

Je pense que dans les années à venir, les documentalistes juridiques auront un grand rôle à jouer dans la transformation digitale des cabinets.

 

Avez-vous assisté à une modification des habitudes de travail des avocats (stagiaires, collaborateurs, of counsel et associés) et si oui, pouvez-vous nous décrire ces évolutions ?

Pas vraiment. Excepté le fait que la « nouvelle génération » a tendance à faire des recherches sur Google et éviter la base de la base : le Code ! Mais globalement, et à force de formation, les avocats utilisent et ne peuvent plus se passer des supports numériques.

 

Avez-vous pu constater des réticences au changement en interne ? Avez-vous œuvré pour accompagner ces évolutions ?

Oui, comme tout changement, cela passe par une période d’adaptation où les avocats vont considérer perdre du temps et pour eux, c’est impossible ! Il faut les convaincre, avec l’aide des éditeurs et autres acteurs du marché. Je procède toujours de la même façon : je sélectionne un petit groupe de collaborateurs, toujours partants, pour tester un nouvel outil, que je vais particulièrement former, leur demander leurs avis. Les collaborateurs aiment être impliqués et une fois convaincus, il est plus facile d’atteindre les associés.

 

*[Ndlr : Mireille est aujourd’hui Research & Library Manager, Paris, Madrid & Bruxelles chez Latham & Watkins]

 

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Mahé Giraux

Après une formation d'avocat, Mahé a rejoint Predictice en tant que Directrice de la relation client. Pendant plusieurs années, elle a accompagné les avocats et les juristes dans la transformation de leurs habitudes de recherche et d'analyse de l'information juridique.

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