L'IA en pratique : quelle organisation pour les cabinets d’avocats à horizon 2030 ?

13 août 2025

7 minutes

À l’aube d’une révolution numérique profonde, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un levier majeur de transformation pour les cabinets d’avocats. Comment intégrer cette technologie de façon optimale ? Quelles compétences, quels processus et quelle gouvernance seront nécessaires d’ici 2030 ? Cet article propose une analyse rigoureuse étayée par des études récentes, pour dresser un état des lieux et dessiner l’organisation juridique de demain.

 

En France, l'usage de l’intelligence artificielle générative (IAG) s’installe progressivement au cœur des pratiques juridiques. Aujourd'hui, en Europe, près de sept cabinets d'avocats sur dix l’utilisent chaque semaine et plus d’un tiers chaque jour. Les chiffres sont déjà bluffants, quand on sait que les premiers outils d'IAG ont commencé à être déployés sur le marché fin 2022. Sans nul doute, dans moins de cinq ans, cette technologie sera devenue une composante standard des processus juridiques. D'ailleurs, selon une enquête publiée en 2025 par Thomson Reuters Institute [1], 95 % des professionnels du droit estiment qu’elle sera « centrale » dans leur flux de travail d'ici 2030. 

 

La question n’est donc plus de savoir si l’IA s’imposera dans la pratique, alors que les cas d'usage identifiés sont déjà nombreux : automatisation des tâches répétitives, assistance à la rédaction, analyses statistiques, et plus encore. La question réside plutôt dans le fait de savoir comment les professionnels du droit vont repenser leur organisation interne pour tirer pleinement parti de ces outils. En effet, cette mutation ne se limite pas à la technique ; elle oblige chaque cabinet à repenser sa chaîne de valeur, son modèle économique et sa gouvernance éthique, pour qu'à courte échéance, la profession passe de l’adoption ponctuelle à une organisation pensée « IA native ».

 

L'enjeu est là, il réside dans l'investissement des organisations à se doter des meilleurs outils pour accroître leurs performances, et dans la formation de leurs collaborateurs à les utiliser de manière optimale. À l’horizon 2030, trois grands défis se distinguent :

- l’adoption technologique ;

- la montée en compétences ;

- l’instauration d’une gouvernance éthique et sécurisée pour renforcer la confiance dans les outils existants.

 

Cet article analyse les réalités opérationnelles et propose une feuille de route pour bâtir le cabinet d’avocat augmenté d'ici 2030.

 

pexels-googledeepmind-18069696

 

I. De l'essor de l'IA dans les cabinets d'avocats aux réalités opérationnelles sur le terrain 

A. Une adoption de plus en plus massive et des gains de productivité significatifs 

 

1. Usage en hausse constante de l'IA 

L'offre se bouscule sur le marché. Fin 2022, la vague de l'IAG fut lancée, avec le dévoilement auprès du grand public de la première version de ChatGPT, le chatbot d'OpenAI. Si la startup californienne a ouvert la voie, d'autres concurrents se sont engouffrés dans la brèche. Des outils provenant encore des USA, tels que Gemini (anciennement Bard), l'IA créée par Google, Claude, le chatbot conçu par Anthropic ainsi que Perplexity AI, le moteur de recherche IA de l'entreprise du même nom. D'autres plateformes proviennent aussi du Vieux Continent, la plus connue étant Le Chat Mistral, l'IA conçue par le français Mistral AI, valorisée aujourd'hui à six milliards de dollars.

 

Révolutionnaires, ces outils n'en demeurent pas moins limités pour être utilisés sans risque par des professionnels travaillant dans des secteurs exigeants. Les entreprises de la legaltech l'ont bien compris en dévoilant peu après le lancement de l'IA de Sam Altman (le patron d'OpenAI) leur propre IAG spécialisée pour les professionnels du droit. La première en date fut Predictice, qui annonçait la sortie d'Assistant en mai 2023, avant que d'autres legaltechs n'emboîtent le pas. Enfin, une dernière vague est arrivée en 2024 : celle des éditeurs juridiques. 

 

Rapidement, les professionnels du droit ont saisi l'intérêt de se saisir de ces technologies, les avocats et les juristes en ligne de mire. D'après une récente étude de Wolters Kluwer [2], 76 % des directions juridiques et 68 % des cabinets d’avocats utilisent l'IAG au moins une fois par semaine. L’usage quotidien atteint déjà 33 % des cabinets d'avocats et 35 % des directions d’entreprise, preuve que les outils ont quitté la phase de test pour rejoindre les flux de travail permanents. Une autre étude [3] de l’Association of Corporate Counsel, réalisée en partenariat avec Everlaw, fait état de 79 % des directeurs juridiques, et 70% des professionnels du droit en général, utilisant l’IA au moins une fois par semaine pour leur travail.

 

2. Automatisation et temps gagné

C'est la promesse des legaltechs et des éditeurs juridiques : permettre aux avocats de faire mieux, ou aussi bien, en moins de temps. L'optique étant d'utiliser ce temps au bénéfice de la stratégie et de la relation client, ce qui constitue la plus-value des avocats, libérés de tâches longues et chronophages.

 

Pour l'heure, il est difficile de récolter des données objectives relatives au temps qu'un avocat peut espérer gagner en adoptant l'IA à sa routine quotidienne. Chaque legaltech ou développeur de logiciel énonce ses propres chiffres, difficilement évaluables. Toutefois, indéniablement, l'adoption progressive de l'IA au sein de la profession prouve qu'elle est efficace. D'ailleurs, selon un rapport communiqué par Goldman Sachs [4], 44 % des tâches juridiques sont déjà susceptibles d'être réalisées par une IA contre 25 % tous secteurs confondus.

 

En réalité, le calcul du gain de temps et, in fine, du gain de productivité dépend de la qualité de l'IA entre les mains de l'avocat et de son appétence à utiliser les outils. Une IA de piètre qualité ou non adaptée aux professions juridiques risque de faire perdre du temps à l'avocat qui passera plus de temps à revérifier l'information qu'à exécuter lui-même la prestation. Si maintenant, ce dernier dispose d'une IA juridique de choix, mais n'est ni formé, ni curieux à l'égard de l'outil, il n'en tirera aucun bénéfice.

 

Au contraire, le cumul d'une intelligence humaine formée et avertie à celle d'une machine performante entraîne une réduction du temps passé sur des tâches à faible valeur ajoutée au profit du client. La commission des lois du Sénat rappelle cependant que « l’outil n’exonère pas du jugement » : la vérification humaine reste une obligation déontologique. [5]

 

3. Déploiement progressif et taux d'investissement croissant

En termes d'investissement dans des solutions d'IA, là encore, la tendance est à la hausse bien qu'elle semble légèrement plus marquée chez les directions juridiques d'entreprises qu'au sein des cabinets d'avocats. Selon les données partagées par Wolters Kluwer, 58 % des cabinets d'avocats et 73 % des services juridiques d'entreprises prévoient d’augmenter leurs investissements dans l’IA les trois prochaines années.

 

De manière globale, deux tiers des professionnels du droit s'attendent à une hausse de ces investissements d'ici trois ans. Une tendance confirmée par une récente étude de PricewaterhouseCoopers (PwC) [6] : "les évolutions récentes montrent une tendance à l’adoption responsable de l’IAG, avec des entreprises qui investissent dans des environnements sécurisés d’IAG et forment leurs employés pour maximiser l’impact de ces outils dans leurs opérations".

 

De son côté, l'État pousse pour un déploiement massif de l'IA en France. Une stratégie nationale fut mise en place et une enveloppe de près de 4 milliards d'euros a été prévue pour soutenir l'IA, dont près de 10 % de cette somme qui est reversée au secteur juridique, d'après Clara Chappaz, secrétaire d'État chargée de l'IA et du numérique. Cette politique publique est notamment destinée au développement des capacités de recherche du pays, à la création d'infrastructures et à la formation à l'IA.

 

pexels-airamdphoto-15940006

 

B. Des défis persistants à l'intégration de l'IA

1. Maturité technologique hétérogène 

Si l'intégration de l'IA est progressive dans le secteur juridique, à la fois sur le plan de l'utilisation que de l'investissement, il s'agit d'une intégration à deux échelles. Pour cause, ces outils ont nécessairement un coût pour les structures plus compliqué à assumer chez des petites structures que des organisations avec des budgets plus conséquents. Selon une citation reprise dans le rapport du Sénat, d'un manifeste des avocats collaborateurs, « l'un des dangers [de l'IAG] serait d'accentuer la distinction entre les cabinets d'affaires et de conseil, qui auraient les moyens d'utiliser l'IAG, et les cabinets individuels ou à taille humaine, qui n'en auraient pas les moyens ». 

 

Toutefois, il faut noter, d'une part, que "le prix des abonnements proposé par les legaltechs dépend du nombre d'utilisateurs. Chez Predictice, le pack "Essentiel", offrant jusqu'à trois accès à la plateforme, est facturé 250 euros par mois. Pour trente accès par exemple, le tarif s'élève à 2 000 euros par mois. Selon les chiffres fournis dans le rapport du Sénat, "un abonnement à un service d'IAG proposé par une entreprise de la legaltech oscillerait autour de 50 et 100 euros par mois et par utilisateur, avec tout de même des exceptions notables en fonction des solutions proposées et des clients visés".

 

Par ailleurs "les outils proposés par les éditeurs juridiques seraient d'un coût plus élevé", conclut le rapport. Cela dit, il semblerait que de nombreuses organisations soient optimistes au sujet du retour sur investissement dans l’IA. Selon les dernières données publiées par Forrester [7], le célèbre institut d’études et cabinet conseil, 49 % des décisionnaires en matière d'IA aux USA estiment que leur entreprise atteindra un retour sur investissement positif dans un délai de un à trois ans, et 44 % l'espèrent dans les trois à cinq ans.

 

2. Cadre réglementaire et déontologique

Le 13 juin 2024, l’Union européenne a adopté le règlement (UE) 2024/1689, plus connu sous le nom d’« AI Act ». Son ambition est double : protéger les droits fondamentaux et soutenir, dans un cadre de confiance, l’essor d’un écosystème européen de l'IA. Le texte s’appuie sur une logique de gestion graduée des risques. Il commence par donner une définition large du système d’IA : « un système automatisé, fonctionnant à différents niveaux d’autonomie, qui, à partir des données qu’il reçoit, produit des sorties susceptibles d’influencer un environnement physique ou virtuel », puis classe ces systèmes en fonction du danger qu’ils font peser sur les personnes. Les pratiques jugées inacceptables, telles que les techniques subliminales destinées à manipuler le comportement d’un individu, la notation sociale ou encore la création de bases de données faciales par moissonnage d’images, sont bannies dans toute l’Union depuis le 2 février 2025.

 

Au-delà de ces interdictions, l’AI Act désigne comme « à haut risque » les applications susceptibles d’affecter les droits ou le parcours d’une personne ; c’est le cas des outils d’IA utilisés pour la prestation de conseil juridique. Ces systèmes devront, entre autres obligations, être assortis d’une gestion des risques documentée, d’une traçabilité de leurs données d’entraînement, d’épreuves de robustesse et d’un contrôle humain effectif avant mise sur le marché ; l’ensemble deviendra impératif le 2 août 2026.

 

Le règlement introduit par ailleurs un régime de transparence : tout fournisseur d’un modèle d’IA à usage général - grands modèles de langage compris - aura, dès le 2 août 2025, l’obligation de publier un résumé de la méthode d’entraînement et de garantir que les contenus générés sont identifiables comme tels. En France, ces exigences sont relayées par la CNIL qui, dans ses recommandations du 7 février 2025, insiste sur la cartographie des prompts, la minimisation des données et l’audit périodique des performances.

 

Le Conseil national des barreaux (CNB) rappelle pour sa part que « l’avocat demeure pénalement et déontologiquement responsable de tout contenu remis au client, y compris lorsqu’il est généré par un système d’IA » et préconise, dans son guide de septembre 2024, l’élaboration d’une charte interne précisant le registre des usages, les modalités de validation humaine et l’information systématique du client. Autrement dit, la conformité ne se limite pas à cocher des cases réglementaires : elle impose aux cabinets de documenter chaque maillon du cycle de vie de l’IA, de la collecte de données à la supervision humaine, faute de quoi le moindre gain de productivité pourrait être anéanti par un risque légal ou éthique majeur.

 

3. Confiance à gagner 

La majorité des professionnels s’attendent à ce que les progrès de l’IAG affectent positivement les cabinets d'avocats au cours des prochaines années, de même que les directions juridiques. Toutefois, les études convergent pour dire que de nombreux professionnels du secteur considèrent que l'adoption de l'IA reste conditionnée à un élément crucial : la confiance qu'ils vondront bien accorder eux-mêmes aux outils.

 

41 % des cabinets et 37 % des directions juridiques expriment des doutes sur la qualité des résultats de l’IA ainsi que sur la confidentialité de leurs données, souligne l'étude précitée de Wolters Kluwer. Cela dit, ces préocupations concernent davantage les outils d'IA dites généralistes plutôt que les IA spécialisées dans le secteur juridique. Aux Etats-Unis, une célèbre affaire a marqué les esprits : celle d'un avocat New-Yorkais qui a cité dix-sept décisions de justice qui n’existaient pas dans son mémoire, au sujet d'une affaire de responsabilité pour blessure contre une compagnie aérienne. Ces décisions hallucinatoires provenaient en l'espèce de ChatGPT et n'avaient pas été vérifiées par l'utilisateur en question.

 

En premier lieu, les concepteurs de plateformes d'IA ont un rôle à jouer pour gagner la confiance des juristes et avocats. Chez Predictice, les informations de nos clients sont protégées grâce à un système de sécurité solide avec un accès contrôlé et une authentification renforcée. Nous n'utilisons jamais ces données pour entraîner notre IA au bénéfice d'autres utilisateurs, elles restent cloisonnées au sein de leur structure. Notre IA, lorsqu'elle répond à une requête d'un professionnel du droit, s'appuie exclusivement sur la base de données juridique de Predictice (contenant notamment des décisions de justice et des textes de lois sélectionnées par nos juristes) et les documents intégrés par nos clients eux-mêmes dans la plateforme. 

 

En second lieu, ce sont également les dirigeants des cabinets d'avocats ainsi que les directeurs juridiques qui ont un rôle moteur à jouer pour accroître la confiance de leurs équipes. Selon la formule de Maître Robert Ambrogi, “le plus grand défi auquel les avocats sont confrontés dans la mise en œuvre de l’IA générative est la peur - et cette peur est alimentée par un manque de compréhension. Les dirigeants des cabinets d’avocats ont un rôle crucial à jouer pour aider à surmonter ces peurs.”

 

pexels-huy-phan-316220-1397518

 

II. Bâtir le cabinet d'avocat augmenté : un nouveau modèle organisationnel à l’horizon 2030

 

A. Des structures, compétences et rôles émergents

 

1. Formation et recrutement 

L'adoption réussie d'une IA juridique au sein d'un cabinet d'avocats, outre la qualité intrinsèque de cette IA, dépend en grande partie de la capacité des équipes à l'utiliser efficacement. C'est toute la question de la formation. À priori, les organisations ont déjà bien compris l'enjeu, puisque d'après l'enquête de Wolters Kluwerprès des deux tiers des professionnels du droit prétendent qu’ils sont soit déjà tenus de participer à une

formation obligatoire, soit qu’ils devront le faire à courte échéance.

 

Comme le rappelle le CNB dans son guide paru à la rentrée 2024 [8], cette formation présente plusieurs avantages stratégiques. "Dans un premier temps, la formation peut permettre à l’avocat, et plus généralement au cabinet, de gagner en productivité. En effet, la maitrise des outils d’IAG peut permettre à l’avocat d’optimiser les pratiques en transformant des tâches chronophages (exemples : recherche juridique, analyse de document, synthèse, etc.) en un processus plus rapide et plus efficace ; dans un second temps, la formation permet à l’avocat de renforcer sa capacité à utiliser et évaluer ces outils de manière éclairée et responsable.". 

 

La formation doit avoir lieu à plusieurs niveaux. Des programmes doivent être déployés dans les universités, afin de préparer les professionnels de demain au bon usage de l'IA. Les cabinets d'avocats et les directions juridiques doivent aussi accompagner le changement au sein de leurs équipes afin que celles-ci adhèrent aux outils. Enfin, les legaltechs et les éditeurs juridiques doivent assurer des formations afin que les utilisateurs soient en mesure d'exploiter pleinement les capacités des outils.

 

L'un des aspects cruciaux de ces formations est la maîtrise de l'art du prompt, ou "prompt engineering", puisqu'il ne s'agit pas simplement de poser des questions à l'IA, mais de savoir comment les formuler pour obtenir les meilleures réponses possibles. Predictice propose des sessions de formation collectives et personnalisées permettant aux juristes et avocats d'apprendre à structurer efficacement leurs prompts, d’affiner leurs requêtes pour améliorer la qualité des résultats et de comprendre les limites de l'IA. Nous avons d'ailleurs élaboré un guide [9] contenant des bonnes pratiques à suivre ainsi qu’une liste non exhaustive de prompts testés et optimisés pour notre IA, librement disponible en téléchargement.

 

Les tendances en matière de recrutement dans l’industrie juridique évoluent rapidement. Pour rester attractif auprès des candidats et attirer les talents, le cabinet d'avocat "augmenté" va devoir proposer des formations à l'usage des technologies à ses futures recrues. Côté candidat aussi, la maîtrise de l'IA est d'ores et déjà essentielle pour se démarquer. "Lors du recrutement de personnel juridique, 72 % estiment que l’expertise technologique est un attribut important pour les candidats potentiels", affirme Wolters Kluwer dans son enquête. Concrètement, la maîtrise de l’IA va devenir un prérequis dans le panel de compétences attendues d’un juriste ou avocat. D’après une étude menée par Microsoft et LinkedIn en mai 2024 [10], 66 % des dirigeants n'envisageraient pas d'embaucher des candidats dépourvus de compétences en IA. Enfin, selon le baromètre dévoilé par PwC en mai 2024, les offres d’emplois destinés à des profils ayant des compétences en IA proposent des salaires à un niveau 25% plus élevé que les autres. 

 

2. Facturation et redéfinition des rôles 

À l'horizon 2030, la facturation au temps passé va potentiellement être remise en question et remodeler les modèles commerciaux des cabinets d'avocats. Grâce à l'IA, les avocats peuvent traiter plus de tâches en moins de temps. Au total, 60 % des professionnels du droit estiment qu'il est logique que la facturation horaire laisse place à des modèles alternatifs tels que les honoraires forfaitaires, les services par abonnement ou la facturation basée sur la valeur, selon l'enquête publiée par Wolters Kluwer.

 

Ils sont d'ailleurs plus d'un professionnel sur deux à se sentir "bien préparés à adapter leurs pratiques commerciales, leurs offres de services, leurs flux de travail et leurs modèles de tarification en réponse à la mise en œuvre de la technologie de l’IA", ajoute l'enquête. L'étude de Pwc fait le même constat. D'après cette dernière, "les directions juridiques expriment une attente claire envers les cabinets d'avocats pour une révision de leur modèle de facturation. La réduction des honoraires est envisagée à travers une stratégie de prix axée sur la valeur apportée plutôt que sur le temps passé.".

 

Par ailleurs, l'arrivée de l'IA au sein des cabinets d'avocats transforme leur organisation traditionnelle. Historiquement structurés en pyramide avec de nombreux collaborateurs juniors à la base, ils tendent déjà à évoluer vers une structure en "fusée", avec moins de juniors, mais des profils plus expérimentés et spécialisés au sommet. Cette transformation s'explique par l'automatisation des tâches traditionnellement confiées aux jeunes collaborateurs. Globalement, grâce à l’IA, les professionnels peuvent désormais consacrer plus de temps au conseil stratégique, à la négociation et à la prise de décision éclairée.

 

3. Bénéfices concrets de l'IA générative et cas d'usage

Avant même l'horizon 2030, les bénéfices offerts par l'IA et les cas d'usage sont déjà pleinement identifiés et vont petit à petit se multiplier. Tout d'abord, l'IA juridique révolutionne la recherche documentaire, un aspect prépondérant du travail d'un avocat. Chez Predictice, la première "couche" d'IA a d'ailleurs été instituée dans notre moteur de recherche de jurisprudence. Ce dernier comprend le contexte et l'intention derrière la requête de l'avocat, et pour chaque décision identifiée, un volet "Pourquoi cette décision" récapitule le fondement de celle-ci. Un autre volet "Chronologie" récapitule les différentes étapes de la procédure. Enfin, les utilisateurs disposent d'une palette de filtres leur permettant de trier les décisions en fonction de certains mots clés, des chefs de demande, de l'issue de la décision, etc.

 

Si les avocats se tournent de plus en plus vers des solutions d'IA spécialisées, c'est également pour rédiger rapidement des contrats, des clauses, des conclusions, des résumés, ou pour comparer automatiquement différentes versions d’un même document, et traduire lesdits documents. Depuis peu, certaines IA, comme l'IA Assistant de Predictice, viennent même se glisser directement dans les outils de travail quotidiens des avocats, tels que Word et Outlook. Enfin, les chatbots juridiques permettent, à l'instar de ChatGPT, Claude ou Gemini, d'obtenir des réponses à ses questions. Mais dans le cas d'un chatbot spécialisé, les sources sont systématiquement vérifiables, permettant à l'avocat de rester serein. 

 

Comme le rappelle le rapport d'information du Sénat, "l'IA permet d'augmenter la productivité des professionnels, avec un nombre important de cas d'usage très concrets ; je pense à la rédaction et à la synthèse de documents, ou encore à l'identification de nouveaux arguments. Plusieurs professionnels ont témoigné de ces gains de temps. Les notaires, par exemple, entendent réduire de 90 minutes le temps consacré par dossier, et celui dédié à la rédaction d'un contrat peut également être divisé par deux. Ce temps gagné peut donc être consacré à des activités où l'apport des professionnels est irremplaçable ; je pense, par exemple, à l'accompagnement et la stratégie juridique".

 

solen-feyissa-hWSNT_Pp4x4-unsplash

 

B. Gouvernance éthique, conformité et contrôle des risques

 

1. Charte IA et déontologie

L'intégration de l'IA dans le secteur juridique soulève des questions éthiques cruciales. Dans son rapport d'information, le Sénat a émis une proposition : "établir des règles claires et transparentes d'usage de l'IAG au sein de chaque profession, notamment par la rédaction d'une charte éthique ou d'un guide d'utilisation, transposée ensuite dans chaque cabinet ou juridiction."

 

De son côté, le CNB a rédigé un guide (déjà précité), dans lequel figurent des conseils et bonnes pratiques destinées aux avocats. L'objet de ce guide, c'est de permettre aux avocats d’utiliser l’IA de manière responsable et de les éclairer sur les possibilités qu'elle offre pour la profession. Un passage de ce guide mentionne ceci : "au sein du cabinet, il est important pour l’avocat de veiller à communiquer clairement à l’ensemble de ses membres les modalités et les finalités de l’utilisation des outils d’IAG, notamment au regard de leurs risques inhérents et de leurs risques en matière de confidentialité [...] Ces informations peuvent être communiquées au sein d’une charte informa­tique ou un guide d’utilisation interne, et lors de sessions de formations dédiées".

 

En collaboration avec dix cabinets d'avocats renommés, Predictice a pris l'initiative de développer un cadre éthique robuste pour guider l'utilisation responsable de l'IAG, en élaborant une charte éthique [11] articulée autour de quatre principes fondamentaux : la compétence, la transparence, la confidentialité et la loyauté. De plus, Predictice a rédigé une charte type relative à l'usage de l'IAG au sein d'un cabinet d'avocats [12], laquelle peut être personnalisée par chaque cabinet en fonction de la taille de sa structure et la nature de ses activités. Conçu comme un kit de démarrage, ce modèle de charte se structure en dix-huit articles, traitant notamment de la responsabilité des associés, collaborateurs ou assistants, de l'encadrement de la formation, des conséquences disciplinaires en cas de non-respect de la charte, etc.

 

2. Évaluation des risques, transparence client, validation humaine

Nous l'avons vu, bâtir un cabinet d'avocat augmenté passe par la confiance. Un élément permet cette confiance : la transparence. D'une part, l'IA doit pouvoir expliquer son raisonnement, d'autant plus dans un secteur juridique qui ne peut se permettre aucune approximation. D'autre part, les avocats qui utilisent une IA juridique doivent être en mesure d'expliquer clairement à leurs clients qu'ils ont bénéficié de l'assistance de l'IA pour réaliser la prestation demandée. Il s'agit d'aillleurs d'une attente de nombreuses directions juridiques.

 

Selon l'enquête de PwC précitée, la transparence figure au deuxième rang sur cinq (36%) des attentes des directions juridiques vis-à-vis de leur cabinets d'avocats, derrière la réduction des honoraires (67%). « Certains cabinets se servent déjà de l'IA pour les Due Diligences, mais ils ne le disent pas. […] J'attends de la transparence sur ce qu'ils font et que les gains de coûts chez eux soient des gains de coûts chez moi. », souligne un avocat interrogé. Ce souci de transparence figure d'ailleurs parmi les propositions du Sénat : "sans imposer d'obligation légale, conseiller dans les guides d'usage propre à chaque profession que, dans un souci de transparence, l'utilisation des outils d'IAG ne doit pas être dissimulée au client.". Cette transparence peut, par exemple, prendre la forme d'une information sur le site web du cabinet, ou d'une réponse directe aux interrogations du client. Quant au CNB, il exprime aussi ce besoin de transparence, cette fois-ci en interne : "il nous apparaît que l’utilisation de l’IAG au sein du cabinet devrait se faire en toute transparence entre associés, entre associés et collaborateurs, et aussi avec le personnel du cabinet".

 

Puisque la transparence ne suffit pas, le rapport du Sénat émet une autre proposition intéressante : "nommer un référent - ou une commission - au sein de chaque ordre professionnel, chargé de suivre les effets de l'intelligence artificielle générative sur la profession, identifier les dérives possibles, lancer des procédures de sanctions disciplinaires en cas de mésusage et mettre à jour le guide de bonnes pratiques". Chez Predictice, nous avons mis en place un comité éthique et scientifique qui supervise les pratiques de l'entreprise, et encourageons chaque cabinet qui adopte notre IA à nommer une personne supervisant ou validant les projets d'IAG, et à ouver un bon mix humain/machine.

 

Toute utilisation de l'IA nécessite une supervision humaine pour garantir la véracité des contenus générés. Les professionnels du droit ne sauraient se dédouaner de leur responsabilité en invoquant une éventuelle erreur commise par la machine. Comme le rappelle le CNB, "c’est l’humain qui donne une signification au résultat généré par l’IAG. Ainsi, la signification du résultat généré par l’IAG, qu’il s’agisse d’un texte,

d’une image ou d’un son, est de la responsabilité de l’humain ; seul l’humain possède du bon sens pour apprécier les résultats générés".

 

IMG_0054 3

 

Conclusion :

À l’horizon 2030, la profession sera divisée entre cabinets ayant transformé l’IA en levier stratégique et ceux qui l’auront subie comme un simple outil. Les premiers auront industrialisé les tâches à faible valeur sans renoncer au contrôle humain, fait évoluer la facturation vers des modèles basés sur le résultat et la transparence, formé leurs équipes pour piloter les outils d'IAG et mis en place une gouvernance conforme à l’AI Act et alignée sur les recommandations déontologiques nationales. La fenêtre d’opportunité est étroite : ceux qui agissent dès aujourd’hui transformeront la contrainte technologique en avantage compétitif durable, consolidant la pertinence économique et la confiance éthique du cabinet pour la prochaine décennie.
Sources :

[1]
Enquête Thomson Reuters menée auprès de 1 702 personnes issues des secteurs juridique, fiscal, comptable, de l'audit, des risques d'entreprise, de la fraude et du secteur public. Les données ont été collectées en janvier et février 2025, et les professionnels du droit représentaient 41 % des répondants.

[2] Rapport d'enquête Wolters Kluwer, « Avocats et Juristes face au futur 2024 », menée du 6 au 28 mai 2024 auprès de 700 professionnels du droit aux États-Unis et dans 9 pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique, France, Italie, Espagne, Pologne, Hongrie).

[3] Enquête de l’Association of Corporate Counsel, réalisée en octobre 2024 en partenariat avec Everlaw, menée auprès de 475 professionnels juridiques internes aux États-Unis.

[4] Rapport de Goldman Sachs Global Investment Research. The Potentially Large Effects of AI on Economic Growth, mars 2023.

[5] Rapport d'information du Sénat « L'intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir » déposé le 18 décembre 2024.

[6] Étude PwC "IA Générative & Directions Juridiques : créer le monde de demain !" publiée en juillet 2024 et menée entre septembre 2023 et avril 2024 auprès de plus de 80 directeurs juridiques en France.

[7] Forrester : Predictions 2025 Artificial Intelligence.

[8] Guide pratique du CNB "Utilisation des systèmes d'intelligence artificielle générative" élaboré en septembre 2024.

[9] Guide ultime du prompt à destination des professionnels du droit élaboré par Predictice pour tirer pleinement profit du potentiel de l'IA juridique.

[10] Etude conjointement réalisée par Microsoft et LinkedIn AI at work is here. Now comes the hard part” en mai 2024.

[11] Charte éthique de Predictice pour une utilisation responsable de l'IA générative.

[12] Charte relative à l'usage de l'IA générative au sein d'un cabinet d'avocats, élaborée par Predictice.

Picture of Vivien Douard
Vivien Douard

Content Marketing Officer - Predictice

Accueil  ›   Actualités juridiques  ›  L'IA en pratique : quelle organisation pour les cabinets d’avocats à horizon 2030 ?

Chaque mois, retrouvez l’essentiel de l’actualité juridique analysée par les meilleurs experts !