Dans cet article, Louise Fourcade et Marine Chevallier font un focus sur la garantie des vices cachés.
La garantie des vices cachés a été récemment au cœur de l’actualité, notamment sur la question des délais la réagissant, et occupe une place importante dans les contentieux civils.
Le présent focus rappelle plusieurs règles encadrant cette action visée aux articles 1641 à 1649 du Code civil à l’aune des derniers arrêts rendus, et ce sans exhaustivité.
Le domaine de l’action en garantie des vices cachés
Elle lie les seuls vendeurs successifs de la chose atteinte d’un défaut présentant les quatre caractéristiques suivantes :
- un défaut intrinsèque à la chose,
- un défaut préexistant à la vente,
- un défaut caché lors de la vente,
- un défaut rendant la chose vendue impropre à son usage.
Ainsi, le mandataire du vendeur n’est pas tenu de la garantie des vices cachés (1ère Civ., 8 mars 2023, 21-17.827, inédit).
Ne peut pas plus être débiteur de cette garantie l’entrepreneur lié par un contrat de louage d’ouvrage au maître d’ouvrage (Com., 29 juin 2022, no 19-20647, F–B).
L’attendu le précisant est le suivant :
« 11. En statuant ainsi, alors que, dans leurs rapports directs, l'action en garantie des vices cachés n'est pas ouverte au maître de l'ouvrage contre l'entrepreneur, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé. »
Distinction vice caché et défaut de conformité
L’action en garantie des vices cachés se distingue de celle pour défaut de conformité, laquelle est caractérisée par la remise d’une chose différente de celle convenue.
La jurisprudence rappelle régulièrement la différence entre ces deux actions, la première étant constituée par l’impropriété de la chose à son usage.
C’est en ce sens que la troisième chambre de la Cour de cassation a statué par deux arrêts en matière de vente immobilière, dont les attendus sont respectivement les suivants, le premier visant également le manquement à l’obligation d’information :
« La cour d'appel a constaté que l'infestation parasitaire avait détruit les pièces principales de charpente et du solivage entraînant un risque d'effondrement et retenu qu'elle ne pouvait en conséquence constituer qu'un vice caché de la chose vendue.
6. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches inopérantes, que les demandes formées par Mme [A] tant sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance de la chose vendue que sur celui du manquement au devoir d'information ne pouvaient être accueillies. »
(3ème Civ. 3, 18 janvier 2023, n°21-22.543).
« 5. Ayant relevé que le bien dont M. [U] avait pris possession correspondait à celui figurant dans l'acte de vente, s'agissant tant de sa situation que de sa contenance, que la difficulté portait uniquement sur le fait que le terrain, vendu comme étant un terrain à bâtir, s'était révélé par la suite comme étant inconstructible, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que l'inconstructibilité d'un terrain constitue non pas un défaut de conformité mais un vice caché de la chose vendue rendant celle-ci impropre à l'usage auquel elle est destinée, a exactement déduit, de ces seuls motifs, que la demande de M. [U], exclusivement fondée, y compris en appel, sur le défaut de conformité, devait être rejetée. » (3ème Civ., 7 septembre 2022, n°21-17972, F–D)
Cumul de l’action en garantie des vices cachés et de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux
Si l’action en garantie des vices cachés est exclusive de celle pour défaut de conformité, elle peut, en revanche, être mise en œuvre concomitamment à une action en responsabilité du fait des produits défectueux, laquelle ne porte que sur les conséquences dommageables générées par le produit et non le produit lui-même, dont la valeur est indemnisable au titre de la garantie des vices cachés.
La première Chambre civile de la Cour de cassation estime en effet que la responsabilité du producteur peut être recherchée, d'une part, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux au titre du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, d'autre part, sur le fondement de la garantie de vices cachés au titre notamment du dommage qui résulte d'une atteinte au produit qu'il a vendu (1ère Civ. 1re, 19 avr. 2023, n° 21-23.726, F-B).
Les délais régissant l’action en garantie des vices cachés
Du fait de la divergence des arrêts entre les différentes chambres de la Cour de la cassation, la Chambre mixte avait été saisie des deux questions suivantes :
Celle de la nature du délai biennal de l’article 1648 du Code civil (i),
Celle du délai butoir de l’action en garantie des vices cachés, avec le principe de l’enfermement du délai biennal dans ce délai butoir (ii).
La position rendue par la Chambre mixte, qui a rendu quatre arrêts le 21 juillet 2023, sur ces deux questions est la suivante :
(i) Le délai biennal est un délai de prescription et non de forclusion, ce qui a pour principal conséquence qu’il peut être suspendu, notamment par une mesure d’expertise judiciaire en application de l’article 2239 du Code civil.
Le point de départ reste identique, à savoir la connaissance de l’existence du vice par l’acquéreur.
(ii) L’action en garantie des vices cachés ne peut qu’être formée dans le délai butoir de 20 ans à compter de la vente du bien en application de l’article 2232 du Code civil.
Deux délais régissent cette action, celui de 2 ans à compter de la découverte du défaut et celui de 20 ans à compter de la vente dans lequel est nécessairement enfermé celui de 2 ans.
Cette solution est applicable qu’il s’agisse d’une vente simple ou intégrée dans une chaîne de contrat, le point de départ de l’action récursoire courant à compter de l’assignation de celui formant cette action.
La Chambre mixte a été très explicite dans la réponse respectivement apportée aux deux questions (Ch. Mixte, 21 juillet 2023, n°21-15809, n°21-17789, n°21-19936 et n°20-10763).
Cette position ne peut cependant satisfaire ceux en bout de la chaîne contractuelle, les fabricants.
Présomption irréfragable de connaissance du vice
L’article 1645 du Code civil prévoit que le vendeur qui connaissait les vices de la chose soit tenu, outre de la restitution du prix reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur.
Le vendeur professionnel est présumé connaître les vices cachés, cette présomption étant irréfragable, comme rappelé par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 juillet dernier.
La Cour estime même que le caractère irréfragable de cette présomption, fondée sur le postulat que le vendeur professionnel connaît ou doit connaître les vices de la chose vendue, qui a pour objet de contraindre ce vendeur, qui possède les compétences lui permettant d'apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente, répond à l'objectif légitime de protection de l'acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences, est nécessaire pour parvenir à cet objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention (Com. 5 juill. 2023, n° 22-14.476).
Cependant, cette présomption irréfragable ne prive pas ipso facto le contrat d’assurance d’aléa, car elle ne signifie pas nécessairement que le vice était connu du vendeur professionnel, comme le retient la deuxième chambre civile suivants deux arrêts du 7 juillet 2022, ainsi :
« 10. Selon l'article L. 124-5 du code des assurances, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.
11. Selon l'article L. 124-1-1 du même code, le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage.
12. La jurisprudence a déduit de l'article 1645 du code civil une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, afin que l'acquéreur obtienne réparation de l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence (1re Civ., 22 mai 2019, pourvoi n° 17-31.248 ; Com., 19 mai 2021, pourvoi n° 19-18.230).
13. Cependant, dans l'hypothèse où la cause génératrice d'un dommage consiste dans la livraison d'une chose affectée d'un vice, seule la connaissance réelle, par le vendeur, du fait dommageable à la date de souscription du contrat, caractérise l'inexistence de l'aléa induisant l'absence de couverture du risque par l'assureur.
14. Dès lors, la présomption mentionnée précédemment ne peut être appliquée pour considérer que le vendeur a nécessairement connaissance du fait dommageable, au sens de l'article L.124-5 du code des assurances. »
(2ème Civ., 7 juill. 2022, n°21-10558 et n°21-10560).
L’indemnisation du préjudice subi
L’acquéreur a le choix de mener une action rédhibitoire ou estimatoire, mais également de demander des dommages et intérêts, en ce compris de manière isolée.
Peut être également laissée la possibilité à l’acquéreur d’accepter la remise en état aux frais du vendeur, ce qui fait disparaître le vice, mais cette solution ne peut pas s’appliquer en cas de réparation du vice caché par un tiers, retient la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 février 2023.
Sa motivation est la suivante :
« 9. L'acquéreur, qui a seul le choix des actions prévues par la loi en cas de mise en jeu de la garantie du vendeur pour vice caché, peut accepter que celui-ci procède, par une remise en état à ses frais, à une réparation en nature qui fait disparaître le vice et rétablit l'équilibre contractuel voulu par les parties.
10. Cette solution ne peut pas être étendue à la réparation du vice caché par un tiers, laquelle, n'ayant pas d'incidence sur les rapports contractuels entre l'acquéreur et le vendeur, ne peut supprimer l'action estimatoire permettant à l'acquéreur d'obtenir la restitution du prix à hauteur du coût des travaux mis à sa charge pour remédier au vice. » (3ème Civ., 8 février 2023, 22-10743).
Puis, le fait d’accepter une remise en état ne prive pas l’acquéreur de la possibilité de solliciter des dommages et intérêts, retient la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 décembre 2022 (1ère Civ., 14 déc. 2022, n°21-20809).
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La garantie des vices cachés n’a pas fini de faire parler d’elle et d’occuper les praticiens du droit.
A suivre de près donc…
Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.