Dans cet article, Marine Chevallier et Louise Fourcade font le point sur l'actualité en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
L’année 2023 ne s’est pas qu’intéressée à la garantie des vices cachés, la responsabilité du fait des produits défectueux n’étant pas en reste.
Ce régime de responsabilité sans faute, régi par les articles 1245 à 1245-17 anciennement 1386-1 à 1386-18 du Code civil adoptés pour transposer la directive communautaire n°85/374 du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, n’est pas sans intérêt pour les victimes d’un produit « qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (article 1245-3 alinéa 1 er du Code civil).
Un régime spécifique mais non exclusif
La responsabilité du fait des produits défectueux oblige le producteur ou le fabricant d’un bien n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre de réparer le dommage causé par celui-ci.
Il s’agit d’une responsabilité qui ignore la distinction entre responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle et ne contraint pas la victime à devoir démontrer une faute du producteur.
Cependant, cette responsabilité, qui s’applique de manière assez extensive comme exposé ci-après, n’est pas exclusive d’autres régimes, comme le prévoit d’ailleurs l’article 1245-17 du Code civil lequel dispose que « Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond ».
Il en est ainsi :
- Notamment avec l’action en garantie des vices cachés
En effet, la responsabilité du fait du produit défectueux n’exclut pas la garantie des vices cachés, les deux actions pouvant se cumuler.
Il résulte de la combinaison des articles 1386-2, devenu 1245-1, et 1641 du Code civil que la responsabilité du producteur peut être recherchée, d'une part, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux au titre du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, d'autre part, sur le fondement de la garantie de vices cachés au titre notamment du dommage qui résulte d'une atteinte au produit qu'il a vendu (1 ère Civ. 1 re , 19 avr. 2023, n° 21-23726, F-B).
Ce cumul des actions permet à la victime d’être aussi indemnisée du dommage subi par le produit défectueux lui-même, non couvert au titre de la responsabilité du produit défectueux qui vise « l’atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même » (article 1245-1 alinéa 2 du Code civil).
- Ainsi qu’avec l’action en responsabilité du producteur pour faute :
Par quatre arrêts rendus à l’égard des Laboratoires Servier à propos du Mediator, la première Chambre civile de la Cour de cassation a admis que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité le producteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle que le maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit (1 ère Civ. 1re, 15 novembre 2023, FS-B, n° 22-21174, n° 22-21178, n° 22-21179 et n° 22-21180).
L’ouverture d’une action en responsabilité délictuelle pour faute présente, en l’occurrence, l’avantage de contourner la prescription triennale de l’action en responsabilité du fait des produits défectueux, visée ci-après.
Reste, en revanche, exclu le régime de la responsabilité du fait des choses dirigée à l’encontre du producteur après la mise en circulation du produit, en ce qu’elle procède nécessairement d’un défaut de sécurité (1 ère Civ., 11 juillet 2018, n°17-20154 ; 1 ère Civ., 26 octobre 2022, n°20-23425).
Mais un régime appliqué de manière extensive
- La notion de défaut de sécurité du produit
Si ce régime de responsabilité est sans faute, encore faut-il caractériser le défaut de sécurité du produit. L’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre s’avère donc déterminante.
Selon un arrêt du 29 mars 2023, la Cour de cassation a précisé que « dans l’appréciation de celle-ci, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation » (1 ère Civ.,
29 mars 2023, n°22-11039).
Dans ce cas d’espèce, le défaut de sécurité d’un médicament a été caractérisé du fait d’une information considérée comme insuffisante figurant dans sa notice.
Par ailleurs, certains produits peuvent même conduire à écarter la cause d’exonération pour risque de développement, et ce sans qu’il y ait rupture d’égalité devant la loi selon le Conseil constitutionnel (Cons constit, 10 mars 2023, n°2023-1036).
- La notion de producteur
Là également, la tendance est à la protection des victimes.
En application d’une réponse préjudicielle de la Cour de justice européenne (CJUE, 24 novembre 2022, aff. C-691/21), la Cour de cassation a considéré qu’un fournisseur d’électricité doit être qualifié de producteur au sens des articles 1245 et suivants du code civil (Com, 13 avril 2023, n°20-17.368).
- Les préjudices réparables
Ils peuvent être largement entendus. Il en est ainsi de l’atteinte à la réputation, dont la prise en compte ne semble pas d’emblée évidente.
Néanmoins, la Cour de cassation a admis que les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’une atteinte à la réputation causée par une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même peuvent être indemnisés y compris lorsqu’il s’agit des préjudices par ricochet (1 ère Civ., 25 mai 2023, n° 21-23.174, FS-B).
L’acquéreur d’un véhicule défectueux qui a entrainé la mort d’une personne peut donc solliciter l’indemnisation de son préjudice personnel né de l’atteinte à sa réputation causée par ce décès.
- Un dommage imputable au moins pour partie au produit
Le demandeur conserve toujours la charge de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Tout récemment, la Cour de cassation a admis qu’il suffisait pour le demandeur de prouver par tout moyen que son dommage était imputable au moins pour partie au produit incriminé.
Peu importe dès lors que la prise du médicament n’ait présenté qu’un caractère secondaire et que la cause prédominante du décès était l’insuffisance respiratoire sévère dont souffrait la personne. (1 ère Civ., 6 décembre 2023, n°22-21238).
Avec sa propre prescription
En vertu de l’article 1245-16 du Code civil, l’action en réparation du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de 3 ans à compter de la date à laquelle la victime a ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut ou de l’identité du fabricant.
Ce délai s’impose, car si le juge peut interpréter les dispositions internes à la lumière de la directive européenne de 1985 relative aux produits défectueux pour admettre la réparation des préjudices résultant d'une atteinte à la réputation, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de se prononcer sur le délai de prescription (1 ère Civ., 25 mai 2023, n° 21-23.174, FS-B, cité ci-avant s’agissant de l’atteinte à la réputation).
En revanche, son point de départ peut être reporté dans certains cas. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’en cas de pathologie évolutive, qui rend impossible la fixation d'une date de consolidation, le délai de prescription fixé par l'article 1245-16 du code civil ne peut pas commencer à courir (1 ère Civ., 5 juillet 2023, FS-B, n° 22-18914).
Il est bien précisé que la prescription triennale est enfermée dans un délai butoir de dix ans après la mise en circulation du produit ayant causé le dommage, sauf en cas de faute du producteur, laquelle peut d’ailleurs ouvrir une autre action en responsabilité (article 1245-15 du Code civil).
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Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, dont les produits de santé, l’un de ses domaines de prédilection, devrait continuer d’alimenter l’actualité juridique.
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Marine Chevallier et Louise Fourcade accompagnent les professionnels de l’assurance et les entreprises dans leurs contentieux de droit des assurances, de la responsabilité civile et des risques industriels.