La saga du barème « Macron » a pris fin avec deux arrêts rendus par la Cour de cassation, le 11 mai dernier. Carine Cohen, associée chez Walter Billet, analyse la motivation et la portée de ces décisions.
Créé par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 « relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail », l’article L. 1235-3 du code du travail a mis en place un barème d’indemnisation en cas de reconnaissance du caractère infondé du licenciement par les juges.
Dès son adoption, ce barème a fait couler beaucoup d’encre et a suscité la résistance de certains conseils de prud’hommes – et de certaines cours d’appel – qui ont refusé de l’appliquer.
Les opposants à ce barème faisaient notamment valoir qu’il était contraire à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT ainsi qu’à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui font toutes les deux référence au principe d’une indemnisation « adéquate » du préjudice subi par le salarié en cas de licenciement injustifié.
Finalement, après avoir rendu deux avis en 2019, la Cour de cassation a une nouvelle fois été saisie à la suite de deux pourvois :
- le premier a été initié à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait écarté l’application du barème en raison d’une non-conformité de ce dernier à la convention n° 158 de l’OIT dans la mesure où il ne permettait pas une réparation adéquate du préjudice subi par la salariée compte tenu de la diminution importante de ses ressources et de son âge ;
- le second a été initié à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Nancy qui avait appliqué strictement le barème de l’article L. 1235-3 du Code du travail en écartant l’argument du salarié quant à la non-conformité du barème avec l’article 24 de la Charte sociale européenne.
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Validation du barème par la Cour de cassation
Dans deux arrêts très attendus en date du 11 mai 2022 (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-14.490 ; Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-15.247), la chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, décide que :
- le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT,
- le juge ne peut décider d’écarter les dispositions du barème afin d’effectuer un contrôle « in concreto » de ce dernier afin de tenir compte des situations personnelles de chaque justiciable ;
- l’article 24 de la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct entre particuliers.
Ces deux décisions mettent ainsi un terme à une saga judiciaire quant à la validité du barème « Macron ».
S’ils peuvent décevoir certains, ces arrêts ne sont toutefois pas surprenants.
Rappelons en effet que le principe du barème avait d’ores et déjà été validé tant par le Conseil constitutionnel que le Conseil d’État, mais également la Cour de cassation elle-même au moment de la remise de ses avis en juillet 2019.
Le Comité de l’OIT, dans le cadre de son rapport du 16 février 2022, avait de son côté souligné que la conformité du barème avec les dispositions de la convention n° 158 dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas, une indemnité adéquate. Il avait donc invité le gouvernement français à examiner à intervalles réguliers les modalités du dispositif d’indemnisation mis en place par le barème.
Une motivation particulièrement détaillée de la Cour
Dans le cadre du contrôle de conventionnalité effectué par la Cour de cassation, autrement dit, contrôle « in abstracto » du barème, l’arrêt n° 21-14.490 comporte une motivation particulièrement détaillée concernant le régime applicable en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de licenciement nul.
Après avoir longuement rappelé les situations dans lesquelles la nullité du licenciement est encourue, donc dans lesquelles le barème peut être écarté, la Cour indique que le fait que le juge ordonne d’office le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés, de tout ou partie des indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite de six mois d’indemnité, permet également d’assurer que les sommes mises à la charge de l’employeur ont bien un caractère dissuasif.
Elle décide ainsi que, prises dans leur ensemble, les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du Code du travail « sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT ».
En résumé, la Cour de cassation estime que le barème de l‘article L. 1235-3 du Code du travail est conforme aux dispositions conventionnelles.
Dans ce même arrêt, la Cour rejette purement et simplement toute possibilité d’application « in concreto » du barème : elle refuse de permettre aux juges d’écarter le dispositif qu’elle vient de valider afin de tenir compte des circonstances de l’espèce si les juges estiment qu’il porte une atteinte disproportionnée aux droits du salarié.
Pour ce faire, la Cour se fonde sur le fondement de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 estimant qu’une telle possibilité porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi.
S’agissant de l’arrêt n° 21-15.247, la Cour de cassation confirme là encore la position qu’elle avait retenu dans le cadre de ses avis du mois de juillet 2019 et rejette tout effet direct de l’article 24 de la Charte Sociale européenne.
La Cour précise que « les États contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application », ce qui exclut tout « effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ».
Et après ?
Ces deux décisions permettent de préserver la sécurité juridique, objectif qui était d’ailleurs poursuivi par les ordonnances de septembre 2017. Elles permettent également de rappeler qu’il appartient au législateur de créer des normes et de les faire évoluer, et que le juge n’a pas à se substituer à lui.
Il est toutefois à parier que les tentatives de contournement du barème en faisant valoir des causes de nullité de la rupture vont se poursuivre, ce qui risque de complexifier encore davantage la tâche des juges.
Si certains juges pourraient tenter d’opposer une résistance à la position retenue par la Cour de cassation, force est de constater que c’est le justiciable qui en fera les frais aux termes d’une procédure longue et couteuse.
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Maître Carine Cohen, avocate associée du cabinet Walter Billet, est spécialisée en droit social.