Les contentieux des offres publiques

3 mai 2022

3 min

Didier Martin
Didier Martin, Senior Partner chez Bredin Prat et expert reconnu en droit boursier, explique les différents contentieux susceptibles de naître à l’occasion des offres publiques.

En cas d'offre publique, existe-t-il une concentration des contentieux devant une juridiction ?

Il n’y a pas de concentration pour les offres publiques des contentieux dans la mesure où ils peuvent concerner différents droits comme notamment le droit boursier, des sociétés, des contrats ou du travail. Si un recours est exercé contre une décision de l'AMF ayant trait à une offre publique (une déclaration de non-conformité, une décision qui, d'une façon ou d'une autre, interfère avec la réalisation de l'offre publique), il doit l’être devant la cour d'appel de Paris, qui est la juridiction unique pour statuer dans ces affaires. Mais des contentieux peuvent naître pour d’autres raisons, par exemple en cas de difficulté concernant un pacte de préemption qui lie deux actionnaires. Le premier veut profiter de ce pacte et le second veut se donner la liberté de pouvoir céder librement au motif que c'est une offre publique d’échange. S'il y a contestation judiciaire sur la mise en jeu de ce pacte, le litige devra être porté devant le tribunal de commerce. S'il s’agit d’une décision prise par le conseil d'administration pour lutter contre l'offre publique, les demandeurs devront également saisir le tribunal de commerce.

Si les salariés considèrent que leurs droits n'ont pas été respectés, par exemple leur droit de consultation, afin qu'ils puissent rendre un avis éclairé et que des informations insuffisantes ont été données, alors le recours est porté devant le tribunal judiciaire privé.

La commission des sanctions de l’AMF peut aussi avoir à se prononcer en cas d'irrégularités commises par l'initiateur d'une offre publique. Mais dans ce cas, sa décision sera prise après réalisation de l’offre. Dans l'affaire Sacyr-Eiffage, par exemple, il y eut, un certain temps après l’offre, une sanction prononcée pour non-déclaration de franchissement de seuil. Un appel peut être formé devant la cour d'appel de Paris.

On ne peut évidemment exclure une procédure de nature pénale pendant une offre publique. Néanmoins, ce contentieux d’un temps beaucoup plus long se poursuivra en pratique bien après la fin de l'offre publique. Il n’y a pas eu à ma connaissance de procédure pénale initiée pendant une offre qui ait influencé sa réussite.

La cour d’appel de Paris a joué un rôle déterminant dans la configuration du droit boursier pendant un certain nombre d’années. Puis, le contentieux s’est raréfié au point qu’il n’y avait plus qu’un ou deux contentieux par an. Bien évidemment, dès qu’une offre publique hostile est en cours, des contentieux divers peuvent être initiés notamment devant la cour d’appel. La tendance de la cour est plutôt de ne pas interférer dans les missions confiées à l’autorité de marché. La cour n’ayant vocation à censurer des décisions de l’AMF que dans des cas relativement exceptionnels.

 

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Quel peut être le rôle du tribunal de commerce ?

Le tribunal de commerce peut jouer un rôle très important pour apprécier la régularité des mesures anti-OPA. Lorsque le conseil d'administration de la société cible prend des décisions qui ont pour objet de lutter contre la tentative de prise de contrôle, et qu'il y a contestation de ces décisions, c'est le droit des sociétés qui est en cause.

Le tribunal de commerce peut demander l'avis de l'AMF. Dans cette hypothèse, le tribunal de commerce a un rôle majeur à jouer puisque la mesure pourrait empêcher la réalisation de l'offre. Aujourd'hui, il n'y a pas de jurisprudence établie sur cette question depuis ce qu'on appelle la loi Florange, c’est-à-dire depuis la modification du régime français qui donne maintenant compétence au conseil d’administration pour prendre ces mesures alors que préalablement, seule l'assemblée générale pouvait en décider.

Bien évidemment, l’analyse faite par l’autorité de marché en cas de contestation d’une décision du conseil d’administration sera un élément important de réflexion des juges. Toutefois, c’est au tribunal de décider dans ces affaires et il pourrait avoir une opinion différente de celle de l’AMF.

 

Est-ce que les décisions de l'AMF peuvent être contestées et si oui, devant quelle juridiction ?

Lorsqu'il s'agit de décisions de l'AMF, c'est la cour d'appel de Paris qui est compétente depuis 1988. La cour dispose d’une chambre spécialisée en matière boursière. Même s'il s'agit d'un recours contre une décision de l'AMF, les sociétés et actionnaires concernés sont présents à la procédure.

Il s'agit d'un recours en annulation de la décision. La cour ne va pas décider du prix s'il y a une contestation sur ce point en cas d'offre publique obligatoire par exemple. Elle annulera la décision de l’AMF qui devrait à nouveau se prononcer sur le prix de la nouvelle offre en tenant compte de la décision de la cour.

La cour d’appel pourrait saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne en cas d’interprétation nécessaire de la directive européenne sur les offres publiques. Le temps de ce recours est beaucoup trop long pour qu’il soit compatible avec le calendrier d’une offre publique. C’est la raison pour laquelle il n’y en a jamais eu jusqu’à maintenant pour les offres volontaires. En cas d’offre publique obligatoire, ce pourrait être différent.

Il y a une question un peu particulière qui est de savoir si un communiqué de l'AMF, comme dans l'affaire Suez-Veolia, peut faire l'objet d'un recours. En effet, suivant la jurisprudence du Conseil d'État, lorsqu'un communiqué d'une autorité peut avoir une incidence sur le comportement des parties concernées, cette contrainte implique qu’elles puissent exercer un recours. Devant quelle juridiction ? Si le communiqué peut être considéré comme une décision de l'AMF, le recours doit être exercé devant la cour d'appel de Paris. Mais la société ayant pris une décision pour faire échec à une offre et qui serait fustigée dans un communiqué de l'AMF, pourrait ne pas agir judiciairement pour le contester. Ce serait alors à la société initiatrice qui voudrait remettre en cause la décision du conseil d’administration d’agir devant le tribunal de commerce.

 

Les salariés d'une entreprise impliquée dans une offre publique sont-ils des acteurs judiciaires en cas d'offre hostile ?

L'affaire Suez-Veolia en est un exemple récent : les salariés avaient estimé qu'il devait y avoir consultation des salariés avant que la cession du bloc d’actions Suez détenues par Engie n’ait été réalisée. Les salariés estimaient que la consultation aurait dû être faite dès cette première phase, considérant qu'il y avait une indivisibilité de l'opération de prise de contrôle par voie d’offre publique, de sorte qu'il fallait les saisir du projet dès avant sa mise en oeuvre, c'est-à-dire dès l'annonce de la cession. Cette contestation a été portée devant le tribunal judiciaire privé puis la cour d'appel qui a estimé qu’effectivement, il y aurait dû y avoir cette consultation à l'origine, mais que, pour autant, considérant les documents et les informations données entre-temps, il n'y avait plus de griefs pour les salariés.

En fait, les salariés peuvent jouer un rôle important en cas d’offre publique, mais l’effet de leur recours n’a été jusqu’à maintenant qu’un report éventuel du calendrier d’une offre publique sans qu’il n’ait été déterminant dans l’échec d’une offre. Il est possible qu’à l’avenir les problématiques RSE, donc les questions sociales, puissent être un enjeu majeur en vue d’apprécier si un conseil d’administration peut faire échec à une offre face à un initiateur qui pourrait faire craindre une affectation suffisamment grave des enjeux « sociaux, sociétaux ou environnementaux » de la société convoitée.

 

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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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