Matthieu Brochier, associé chez Darrois Villey Maillot Brochier, apporte un éclairage sur la définition du contentieux boursier. Un contentieux aux ramifications nombreuses et souvent méconnues.
Existe-t-il une définition « classique » du contentieux boursier ?
Cette définition n’existe pas, car le droit boursier est une matière en constante évolution. C’est en apparence un droit spécial, exclusif des autres matières, mais en réalité, c'est tout le contraire. Cette branche du droit regroupe plusieurs composantes.
On y inclut le contentieux des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui peuvent concerner des personnes très différentes comme des prestataires de services ou d'investissement, des acteurs de la vie boursière et aussi des personnes qui sont étrangères au quotidien des marchés et qui interviennent pour faire une acquisition, par exemple sur un titre. Les sources juridiques sont également variées puisque depuis 2016, c’est le règlement européen relatif aux abus de marché dit « MAR » qui est appliqué par la commission des sanctions de l’AMF. Les juridictions de recours diffèrent également selon les types de dossiers : une partie des recours contre les décisions de la Commission des sanctions de l'AMF va devant la Cour d'appel et une autre partie va devant le Conseil d'État, avec des procédures, des raisonnements et parfois des jurisprudences distincts.
Le contentieux boursier comprend les manquements administratifs, mais également les abus de marché au sens pénal du terme, avec la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 qui a consacré le principe non bis in idem et a organisé la répartition des poursuites entre l'AMF et les juridictions pénales.
Il existe également d’autre types de contentieux boursier, le contentieux lié aux offres publiques (OPA), le contentieux qui naît des désaccords entre des actionnaires ou avec des émetteurs. Ces différends sont souvent portés devant des juridictions judiciaires (souvent, il s'agit du tribunal de commerce de Paris ou de Nanterre, parce que la majeure partie des grandes sociétés en France ont leur siège dans le ressort de Paris ou de Nanterre) et devant la Cour d’appel de Paris. On y applique des règles très diverses, issues du droit des contrats, du droit des sociétés, du droit boursier, du droit de la concurrence et également du droit public.
Le contentieux boursier résulte parfois aussi des comportements des « activistes », c'est-à-dire des actionnaires qui essayent, pour des raisons variées, d'influencer l'activité et la politique d'une société cotée en Bourse. Cela soulève des questions passionnantes et qui relèvent de différentes branches du droit : les relations entre l'actionnaire et la société, l’intérêt de l'actionnaire, l'intérêt social, la liberté d'expression également.
Il y a également le contentieux relatif aux questions ESG qui va certainement croître. Certaines affaires récentes, comme la décision Shell en Hollande et aux États-Unis nous intéresse beaucoup ; il y aura de plus en plus de contentieux mettant en cause la responsabilité de sociétés cotées, parfois avec leurs dirigeants, pour avoir méconnu leurs engagements ESG en France également. C'est aussi du contentieux boursier, car un certain nombre de règles boursières encadrent les obligations ESG et les informations qui doivent être données sur ce sujet-là par les sociétés cotées.
Enfin, le contentieux boursier comprend également la réparation du préjudice boursier, qui consiste à déterminer si un actionnaire peut réclamer la réparation du préjudice qu'il aurait subi parce que la société dont il a acheté ou vendu des actions aurait mal informé le marché.
En conclusion, on voit que le contentieux boursier relève de juridictions aussi bien de l’ordre administratif que de l’ordre judiciaire, et fait appel à des notions issues de domaines très divers. Bien au-delà du règlement général de l'AMF, un nombre très important de règles s'appliquent.
Le contentieux boursier appelle donc une définition très générale : c'est le contentieux lié à l'activité des marchés réglementés.
Vous avez évoqué le préjudice boursier, qui soulève des questions juridiques passionnantes. Ce préjudice est donc considéré par la jurisprudence comme un préjudice réparable sur le modèle de la perte de chance ?
Un préjudice boursier peut en effet être reconnu, dans les conditions du droit de la responsabilité civile. C'est un sujet sur lequel je travaille depuis de nombreuses années, en particulier aux côtés de la société Vivendi. En juillet dernier, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes d’indemnisation de préjudice boursier d’une centaine d’investisseurs professionnels, qui reprochaient une communication financière fautive de Vivendi au début des années 2000, et avaient saisi la juridiction consulaire après plusieurs procédures AMF et pénales et une class action aux USA. Les jugements ne sont pas définitifs mais ils sont publics.
LIRE LES JUGEMENTS >>
Tribunal de commerce de Paris, 7 juillet 2021, n° 2012033467
Tribunal de commerce de Paris, 7 juillet 2021, n° 2012029636
Tribunal de commerce de Paris, 7 juillet 2021, n° 2011027112
Tribunal de commerce de Paris, 7 juillet 2021, n° 2012028100
Tribunal de commerce de Paris, 7 juillet 2021, n° 2012056220
Le préjudice boursier mêle aux questions juridiques des questions de macroéconomie et de preuve. Le juste objectif de protection des investisseurs ne doit pas conduire à un système qui pourrait encourager des comportements spéculatifs. Cela justifie d’avoir recours à des experts juridiques mais aussi à des experts financiers et des spécialistes des marchés, afin de comprendre l'évolution de la bourse et d’apprécier l'existence et le montant du préjudice quand il y en a un.
Quelle est la spécificité du contentieux boursier par rapport aux autres types de contentieux ?
La première particularité est que le droit boursier ne se définit pas par le type de contentieux, qui peut être très varié - on l'a vu - mais par le fait qu'il est toujours lié aux marchés financiers.
Au-delà de cette caractéristique, c'est un droit qui exige, pour être traité correctement, de faire appel à différents domaines juridiques. Notre équipe réunit, suivant les particularités de chacun des contentieux, des associés et des collaborateurs qui ont des spécialités et des affinités particulières. En pratique, je travaille quotidiennement les contentieux boursiers avec mes associés de l'équipe fusions-acquisitions et marchés de capitaux, mais également ceux spécialisés en droit public ou en droit de la concurrence : quand je défends par exemple devant une juridiction les conditions juridiques d'une offre publique, c'est un avantage évident d'avoir à mes côtés quelqu'un qui sait construire une offre publique.
Le contentieux boursier est un sport d'équipe. Il faut avoir à ses côtés des spécialistes d'autres domaines, des experts, des banquiers...
Vous dites que le contentieux boursier est lié à l'activité des marchés réglementés. Dans quelle mesure est-il limité par le champ d'action de l'AMF ?
Il n'est pas limité par le champ d'action de l'AMF. Certes, bon nombre de questions contentieuses se traitent devant le Collège ou la Commission des sanctions de l’AMF, mais d'autres questions relatives au contentieux boursier doivent être développées devant les juridictions de droit commun.
Ce n'est pas parce que le champ d'action de l'AMF est vaste mais limité, que le contentieux boursier l'est également. La question de la réparation du préjudice boursier est un bon exemple : ce n'est pas l'AMF qui décide de la réparation du préjudice que peut avoir subi un investisseur quand il y a un préjudice boursier allégué. C'est le juge civil, le juge commercial ou encore le juge pénal. La question de savoir s'il faudrait que ce contentieux entre dans le giron de l'AMF revient régulièrement. Cependant, à mon sens, il y a une répartition des tâches qui est très complémentaire.
Ainsi, vous n'estimez pas qu'il faudrait remettre ce genre de contentieux à la Commission des sanctions de l'AMF en raison de sa plus grande expertise en matière boursière ?
Le juge judiciaire est le juge naturel de la réparation du préjudice qui est d'abord une question de droit civil, avant d'être une question de droit boursier.
Un autre exemple qui montre la légitimité naturelle du juge judiciaire pour certaines questions : celui du contentieux entre plusieurs actionnaires d'une société cotée, liés par un pacte d’actionnaire. Un pacte est un contrat, c’est au juge du contrat, et non à l’AMF, de trancher un différend à ce sujet.
Assiste-t-on à un élargissement progressif du champ du contentieux boursier ?
Je pense qu'on assiste à un développement et à un élargissement de la réglementation - il y a de plus en plus de règles aujourd'hui, françaises et européennes, sans compter la soft law – ainsi qu’à une judiciarisation qui entraîne de nombreux contentieux.
Pour finir, je tiens à souligner combien le contentieux boursier est passionnant : derrière les enjeux juridiques et financiers complexes, il y a toujours des enjeux humains, comme dans L’Argent d’Émile Zola, qui est un véritable western boursier et qui montre que la Bourse, hier comme aujourd’hui, est une œuvre humaine pleine de rebondissements.
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Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.