Olivier Chaduteau, fondateur & associé gérant du cabinet de conseil Day One, donne aux avocats des conseils pour facturer plus et mieux.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux problématiques de management stratégique des cabinets d’avocats ?
Grâce à plusieurs années de travail en tant que Directeur Marketing & Business development chez EY (anciennement Ernst & Young) et Arthur Andersen, j’ai pu dresser un constat évident : les cabinets d’avocats, et de manière générale, les professions réglementées, doivent réfléchir à la redéfinition de leurs stratégies commerciales, de leurs process, de leur positionnement et de leurs organisations internes et gouvernance.
Ce constat englobait toutes les professions réglementées organisées en cabinets (avocats, conseils juridiques, experts comptables, commissaires aux comptes, notaires, etc.) afin de faire évoluer l’ensemble de leur stratégie organisationnelle.
C’est donc ainsi que l’idée de travailler avec les clients de mes clients (c’est-à-dire à l’époque les clients corporate des avocats ; les entreprises) a germée. Il m’est apparu nécessaire de mieux comprendre les besoins et les contraintes des directions juridiques d’entreprise pour proposer une réorganisation des cabinets en fonction des nouvelles données du marché.
Le cabinet Day One a vu le jour en 2003. Au départ, j’ai commencé à conseiller les cabinets. Ils représentaient alors 100% de ma clientèle. C’est un peu plus tard que nous avons proposé nos services de conseil aux directions juridiques, compliance et fiscales, car finalement ce qui est intéressant pour les cabinets l’est tout autant pour d’autres entités.
Aujourd’hui, cela s’est largement inversé ; l’activité de Day One est dédiée à 75% aux entités corporates.
Pourquoi la facturation à l’heure est-elle un mode de facturation réflexe aujourd’hui ?
Plus qu’un mode de facturation réflexe, c’est un mode de facturation historique qui remonte à 1919 et modélisé par Reginald Heber Smith dans un article passionnant. Il trouve racine dans le business model même des cabinets d’avocats qui repose sur trois critères que sont :
- l’“effet de levier”,
- le “taux horaire”, et
- le “taux chargeable”.
Le système repose donc en grande partie sur une valeur clé : le temps. Et je vous rappelle que c’est sur la variable “temps” que l’intelligence artificielle va être plus efficiente que l’humain.
La facturation à l’heure présente un énorme avantage pour les structures comme les cabinets en termes de contrôle de gestion… Cela explique en partie pourquoi les cabinets ont eu du mal à s’orienter vers des modes de facturation alternatifs, alors qu’ils doivent le faire !
Aujourd’hui, le monde a changé, et les clients des cabinets aussi. Hier, il n’y avait pas de juriste dans l’entreprise, aujourd’hui il y en a de plus en plus, et leurs compétences juridiques et opérationnelles sont redoutables. Ils sont très performants, ils connaissent le métier, les stratégies précontentieuses et contentieuses, etc.
Les directeurs juridiques, doivent travailler en respectant le budget fixé par l’entreprise. Ils ont également des contraintes de prévisibilité des coûts. Aujourd’hui, les entreprises veulent à la fois maîtriser leurs coûts, c’est la question du montant à payer, et avoir une visibilité sur les coûts futurs, c’est la question de la prévisibilité. Or beaucoup de sujets sont prévisibles et c’est la raison pour laquelle les entreprises demandent à leurs conseils des forfaits, des budgets plafonnés, ou acceptent éventuellement les success fees. Toutes ces modalités sont en train d’évoluer, pour correspondre aux besoins du marché. L’objectif : la prévisibilité budgétaire et le juste prix par rapport à la valeur souhaitée.
Une réflexion stratégique doit avoir lieu : la pyramide et l’effet de levier (combien d’avocats pour un associé) doivent être totalement redéfinis pour être alignés avec le positionnement souhaité du cabinet.
Concernant le taux horaire et le taux “chargeable” (heure facturée aux clients dans la journée), ils sont petit à petit abandonnés dans la construction de la stratégie prix par les cabinets aux Etats-Unis. L’un de mes interlocuteurs américains a récemment comparé le taux horaire à un zombie : «Il est mort mais ne le sait pas encore !», me soutenait-il en plaisantant. Force est de reconnaître que ces modes de facturation vont à l’inverse de la recherche d’efficacité, d’efficience et de pérennisation de la relation client. Il est en effet invraisemblable de penser qu’un cabinet qui travaille depuis très longtemps pour un groupe et qui passe moins de temps à résoudre une problématique juridique sera pénalisé financièrement par rapport à un autre cabinet qui intervient pour la première fois pour le même client.
L’un de mes interlocuteurs américains a récemment comparé le taux horaire à un zombie : « Il est mort mais ne le sait pas encore ! »
Vous semble-t-il souhaitable qu’un avocat pratique le même taux horaire quels que soient les sujets ?
La valeur ajoutée varie nécessairement en fonction des sujets. Pour certaines questions, un service haute couture/sur-mesure n’est pas justifié.
"Concernant le taux horaire et le taux “chargeable” (heure facturée dans la journée), ils sont petit à petit abandonnés”.
Depuis quelques années, le modèle standard évolue. En 2008, j’écrivais déjà un article sur l’obsolescence du taux horaire (“ le taux horaire est mort ”). Les cabinets doivent nécessairement s’adapter aux nouvelles attentes de leurs clients et c’est la raison pour laquelle ils proposent aujourd’hui, pour certains sujets, des facturations au forfait ou au budget. Pour les questions complexes et épineuses, le taux horaire reste en revanche pratiqué.
Quels modes de facturation préconisez-vous, pour quelle prestation et pour quel type de structure ?
Pour schématiser, nous pouvons dire que plus on est sur des questions de droit récurrentes et “standards”, plus le forfait est approprié. Ensuite pour les questions un peu plus rares et/ou complexes, il est plus justifié de fonctionner au budget. Pour les questions complexes qui nécessitent une expertise extrêmement pointue, le taux horaire reste indétrônable. Les honoraires de résultat sont aussi applicables.
Pour schématiser, nous pouvons dire que plus on est sur des questions de droit récurrentes et “standard”, plus le forfait est approprié.
Comment l’avocat peut-il alors être rémunéré ? La question du prix de la prestation doit être examinée et débattue, en amont du dossier, et au regard de la valeur attendue par le client qui va demander de plus en plus un forfait ou autres modalités de facturations alternatives (“alternative fee arrangement” ou AFA’s). Prendre une ou deux heures avec son client pour cerner ce qu’il attend précisément comme prestation, chiffrer avec lui la valeur du travail et ses besoins en termes d’équipe, mais aussi et surtout de livrables me semble plus pertinent. Les directeurs juridiques sont de plus en plus qualifiés et sont souvent d’anciens avocats. Ils sont en demande de ce que les Américains appellent « the value pricing »: aux avocats de savoir s’y adapter. La valeur apportée doit être définie par le client, pas imaginée par l’avocat.
Pensez-vous qu’un changement est en train de s’opérer au sein des cabinets d’avocats d’affaires ?
Un gros changement de paradigme a déjà commencé à s’opérer. Les AFA’s se développent dans de nombreux cabinets, surtout anglosaxons.
L’objectif de ces modalités de facturation alternative est de fournir une plus grande prévisibilité des honoraires, de proposer la facturation d’une valeur ajoutée, en mettant l’accent sur les résultats et l’efficacité, sans être basé directement sur le temps passé. Le mode de facturation doit ainsi être choisi en fonction de la situation juridique à traiter.
Le mode de facturation doit ainsi être choisi en fonction de la situation juridique à traiter.
Il est également très important de penser à segmenter les tâches d’un dossier, en fonction de leur nature et de leur complexité. Il s’agit tout simplement de déterminer des phases. Ce sont aujourd’hui les équipes de “project management” qui travaillent là dessus.
Ce n’est qu’assez récemment que le concept de legal project management a fait son apparition en France. Il s’agit de la transposition à la matière juridique des méthodes de la gestion de projet, visant à assurer le bon déroulement d’un projet du début à la fin, selon des étapes bien définies, et afin de satisfaire les trois critères essentiels de qualité, coûts et délais. Certains dossiers, dès lors rebaptisés « projets juridiques », s’y prêtent particulièrement : les opérations de haut bilan, ou encore les contentieux importants.
De la définition des besoins du client au suivi du déroulement du projet via l’utilisation d’outils technologiques et/ou managériaux adaptés, l’avocat «manager» ne se conçoit plus uniquement comme un prestataire de services intellectuels : il devient partenaire du client, maximisant les outils à disposition pour satisfaire ses besoins, tout en optimisant le budget alloué au projet.
Quels sont les bénéfices escomptés des outils mis à disposition par les legaltech dans le cadre de ces grandes transformations organisationnelles ?
Avec les legaltech, l’accès au droit s’est considérablement élargi. Le savoir est accessible plus facilement et aussi et surtout, plus rapidement.
Or, comme je vous le disais tout à l’heure, la variable clé reste le temps. Pour les cabinets qui fonctionnent toujours au taux horaire, plus les avocats sont lents, plus les clients seront facturés cher. Avec la modification du rapport au temps amené par les legaltech, ce modèle n’est plus tenable. Certaines tâches sont réduites à très peu de temps et ne peuvent plus justifier des heures de recherche.
Finalement, comme le temps de recherche est accéléré, il devient un facteur de différenciation. Tous les acteurs doivent s’adapter et prendre en compte ce nouveau rapport au temps. Et pouvoir répondre encore plus rapidement à ses clients c’est également lui apporter de la valeur… à l’avocat de savoir le facturer. On le voit bien, nous sommes bien entrés dans le paradigme dans lequel la valeur ajoutée passe par le meilleur mix entre l’humain et l’intelligence artificielle et plus l’humain seul.
Aux avocats de s’adapter !
Après une formation d'avocat, Mahé a rejoint Predictice en tant que Directrice de la relation client. Pendant plusieurs années, elle a accompagné les avocats et les juristes dans la transformation de leurs habitudes de recherche et d'analyse de l'information juridique.