Jeanne Chauvin : plaidoyer pour les femmes avocates

23 juillet 2020

3 min

Jeanne Chauvin
Jeanne Chauvin se présenta le 24 novembre 1897 afin de prêter serment. Devant le refus de la Cour d'appel de Paris, elle batailla afin d'obtenir le changement de la loi et fut la première femme à plaider en France.

La bataille juridique menée par Jeanne Chauvin pour permettre aux femmes de prêter serment

Juridiquement, l'entrée des femmes dans la profession d'avocat en France eu lieu en 1900, grâce à l’adoption de la loi du 1er décembre 1900 ayant pour objet de permettre aux femmes munies des diplômes de licencié en droit de prêter le serment d'avocat et d'exercer cette profession.

 

Cette loi a été adoptée grâce aux efforts soutenus de Jeanne Chauvin, qui, munie de deux baccalauréats, deux licences et un doctorat de droit, s’était présentée en vain devant la Cour d’appel de Paris afin de prêter serment le 24 novembre 1897. Par un arrêt rendu le 30 novembre 1897, la Cour d’appel de Paris rejeta sa demande d’admission à la prestation de serment :

 

« Considérant que la seule question soumise à l’appréciation de la Cour est celle de savoir si, dans l’état actuel de notre législation, la femme peut être admise à prêter le serment d’avocat et, par suite, à en exercer la profession ; Considérant que (...) en se bornant à rétablir les barreaux, <le législateur> a dû et s’est manifestement référé aux conditions anciennes dans lesquelles ils avaient été constitués dans l’ancien droit par les traditions, les usages ou les ordonnances ; Considérant qu’il est universellement reconnu que dans l’ancien droit, dans les pays de droit écrit, comme dans ceux soumis au droit coutumier, tous imbus, sur ce point, des principes du droit romain, la profession d’avocat était formellement interdite aux personnes du sexe féminin ; que les quelques rares prétendues exceptions invoquées par la Demoiselle Chavin (...) ne saurait faire échec à cette règle absolue qui n'était que l'application logique du principe en vertu duquel on a toujours considéré la profession d'avocat comme un office viril ; que ce qui démontre plus péremptoirement encore  que les articles susvisés n'ont entendu réglementer que la situation des licenciés en droit de sexe masculin, c'est l'état d'infériorité dans lequel les législateurs rédacteurs du code civil ont, à une époque à peu près concomitante, entendu maintenir la femme (...) ; qu'il en résulte surabondamment, que la femme licenciée en droit, ne saurait invoquer, sous prétexte que ce serait créer arbitrairement une exception que la loi n'a point édictée, une législation qui, de toute évidence, n'a point été édictée en sa faveur (...). »

 

 

Les motifs invoqués furent donc, pêle-mêle, les usages, le droit romain, l'opinion commune, une certaine interprétation du silence de la loi, l'évidence.

 

Telle fut la réponse que la Cour d'appel de Paris donna à Jeanne Chauvin, qui avait argumenté sa demande en invoquant le principe selon lequel « dès lors que les textes sont muets sur la capacité des femmes, c'est que cette capacité est présumée. »

 

Jeanne Chauvin décida dès lors de mener campagne afin de changer la loi. Pour cela, elle bénéficia du soutien de son frère, Émile Chauvin, avocat, professeur agrégé des facultés de droit et député de Seine et Marne, ainsi que de celui de Raymond Poincaré et de René Viviani.

 

Elle obtint le vote de la loi autorisant les femmes à prêter serment, qui fut adoptée le 1er décembre 1900, et qui dispose :

 

« À partir de la promulgation de la présente loi, les femmes munies des diplômes de licencié en droit seront admises à prêter le serment prescrit par l'article 31 de la loi du 22 ventôse an XII, à ceux qui veulent être reçus avocats et à exercer la profession d'avocat sous les conditions de stage, de discipline et sous les obligations réglées par les textes en vigueur. »

 

La voie légale étant désormais ouverte, Olga Balachowsky-Petit, une autre femme docteure en droit, prêta serment cinq jours après, devenant ainsi la première femme de France à devenir avocate. Jeanne Chauvin prêta serment à son tour le 19 décembre. Le récit de son serment fit la une du journal Le Figaro.

 

Elle fut la première femme à plaider en France, à propos d'une affaire de contrefaçon de corsets.

 

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Les obstacles, non juridiques, demeurent

Cependant, si les obstacles juridiques étaient désormais levés, d’autres obstacles demeuraient. On ne comptera d’ailleurs que dix-huit avocates jusqu’à la fin de la Grande Guerre.

 

En premier lieu, la situation des femmes constituait en elle-même un obstacle : en effet, comme l’explique Anne-Laure Catinat, le droit n’était pas enseigné dans les collèges féminins de sorte que les candidates ignoraient ce qu’était le droit. De plus, ces études coûtaient cher, et les femmes étaient encore civilement incapables. Une femme ne pouvait donc exercer la profession d'avocate que si elle était issue d'une famille aisée et que son père ou son mari l'y autorisait.

 

Néanmoins, la durée des études, courte, constituait un argument pour inciter les femmes à devenir avocates. En effet, le cursus s’effectuait en trois ans, car il suffisait d’une licence pour prêter serment. Ainsi, le cursus de droit pouvait se révéler « rentable » pour les femmes divorcées ou séparées et ayant à charge des enfants, comme par exemple Yvonne Netter et Marcelle Kraemer-Bach.

 

De plus, elles eurent à affronter l'hostilité de certains de leurs confrères, persuadés que le rôle de défenseur de la veuve et de l'orphelin devait demeurer une prérogative masculine.  Ainsi, Marcelle Kraemer-Bach raconta, dans son ouvrage La Longue route[1] comment elle fut rudoyée par un bâtonnier : « Le bâtonnier Albert Salle m’apostropha rudement et me dit : "Que venez-vous faire ici ? Vous n’y réussirez jamais. Si vous avez besoin de gagner votre vie faites du commerce. Si vous êtes intellectuelle, entrez dans l’enseignement". »

 

Comme dans de nombreux autres domaines, la Première Guerre mondiale marqua un tournant : le travail des femmes avait acquis une certaine légitimité, dont les avocates bénéficiaient. Dans les années suivantes, certains envisagèrent même avec enthousiasme la féminisation de la profession. Ainsi, le journaliste René Jardin, à la une du journal l'Ouest-Éclair, écrivit en 1931, un article intitulé « Les avocates plaident... pour elles » :

 

« À y regarder de plus près, on s'aperçoit vite que les reproches faits aux avocates sont ceux que l'on fait généralement à toute femme lancée dans une carrière jadis réservée en exclusivité aux hommes. Fief masculin aujourd'hui perdu. Conquête féminine. Leçon d'histoire. Une image a cédé la place à une autre image. La femme oisive « Sois belle et tais-toi » a été remplacée par l'avocate, la doctoresse, l'ingénieure, la chimiste. Les hommes en sont restés tout ébaubis. Ils regrettent le bon vieux temps peut-être ont-ils raison et ils regardent ces femmes nouvelles avec des lunettes vieilles de trente ans au moins. Ils ne veulent pas les voir comme elles sont, idées longues et cheveux courts, n'ayant rien perdu de leurs qualités instinctives parce qu'elles ont acquis du savoir. »

 

Qu'en est-il aujourd'hui ? Le Conseil national des Barreaux a lancé, en 2018, une étude sur les femmes avocates. Si la profession est désormais largement féminisée (plus de la moitié des avocats sont des femmes), de fortes disparités demeurent, aussi bien en termes de statut que de rémunération. Ainsi, il y a trois fois plus de collaboratrices que d'associées. De plus, leur revenu annuel est deux fois inférieur à celui des hommes. Une enquête de France Inter a révélé qu'environ 30% des avocates abandonnaient la profession avant d'atteindre leur dixième année de carrière, ce qui représentait environ dix points de plus que les hommes. 

 

L'égalité de droits, obtenue grâce par Jeanne Chauvin pour l'accès à la profession d'avocat, n'est pas tout. Comme la Cour d'appel l'avait si bien démontré en 1897, l'opinion commune a également son mot à dire.

 

Retrouvez l'intégralité de notre dossier sur les grandes figures féminines du droit français.

[1] M. Kraemer-Bach, La Longue Route, Paris, La Pensée universelle, 1988, p. 71, cité par Anne-Laure Catinat, Les premières avocates du barreau de Paris. In: Mil neuf cent, n°16, 1998. Figures d'intellectuelles. pp.43-56.

[2] Pour approfondir le sujet, il conviendra de consulter les sites suivants :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Chauvin

https://www.grands-avocats.com/avocats/jeanne-chauvin/

http://www.uja.fr/2017/02/01/jeanne-chauvin-eternelle-deuxieme-authentique-pionniere/

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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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