Panorama de la première instance - 2022 (1e trimestre)

13 avril 2022

6 min

panorama de la première instance 1e trimestre 2022
Revue de décisions de première instance inédites rendues au cours du premier trimestre de l'année 2022.

 

Droit civil

Obligations

 

Tribunal judiciaire de Bordeaux, 7 mars 2022, n° 21/01937 : maintien dans les lieux d'un occupant sans droit ni titre et préjudice de jouissance

 

Nadine Dessang, fondatrice du cabinet Nadine Dessang : « En cas de résolution de la vente d'un immeuble, le maintien dans les lieux de l'occupant devenu sans droit ni titre ne suffit pas à caractériser le préjudice de jouissance du propriétaire et à justifier la condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation.

En l'absence de preuve de la valeur locative du bien ou d'une demande de prise en location, le préjudice de jouissance apparaît sérieusement contestable tant dans son principe que dans son montant. »

 

Tribunal judiciaire de Cambrai, 10 mars 2022, n° 21/00170 : obligation de délivrance conforme et résolution de la vente

 

Bénédicte Duval, fondatrice du cabinet Duval : « Les époux T ont acheté une maison de campagne aux consorts X.

Le compromis de vente ainsi que l’acte authentique indiquaient tous deux que l’immeuble était raccordé au réseau public d’assainissement. Les consorts X avaient indiqué que cette maison était occupée par feue leur mère et qu’ils n’avaient donc pas pu valablement s’engager sur cette information.

Le Tribunal judiciaire de Cambrai a suivi le raisonnement développé au soutien des intérêts des acquéreurs, considérant que les vendeurs avaient manqué à leur obligation de délivrance conforme : le fait que les vendeurs n’aient jamais habité l’immeuble était indifférent et ils étaient tenus au respect de cette obligation.

Les époux T sollicitaient à titre principal la résolution de la vente et à titre subsidiaire la prise en charge par les vendeurs des travaux de raccordement.

Le Tribunal a débouté nos clients de leur demande de résolution considérant que "le coût des travaux de reprise, à peu près 10 000 euros, semble raisonnable pour un immeuble dont le prix de vente a été de 64 000 euros : le manquement contractuel n'est pas entaché d'une gravité suffisante pour prononcer la résolution du contrat". Il a toutefois fait droit à l’intégralité des demandes subsidiaires et donc à la prise en charge de tous les frais découlant du nécessaire raccordement.

On peut donc penser que la résolution de la vente aurait été admise si le coût des travaux avait été plus important.
 »

 

Tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône, 7 février 2022, n° 20/00107 : obligation de délivrance conforme à la lettre du contrat

 

Charles Freidel, associé chez Vaubecour Avocats : « Dans le cadre d’une vente immobilière, comme pour toute vente, le vendeur doit veiller à ce que la chose vendue soit conforme à sa description telle que prévue dans le contrat. À défaut, il engage sa responsabilité au titre de son obligation de livraison conforme, quand bien même la garantie des vices cachés aurait été exclue. »

 

 

Droit de la famille

 

Tribunal judiciaire de Bordeaux, 10 février 2022, n° 19/09818 : intérêt supérieur de l'enfant dans le cadre d'un divorce conflictuel

Jean-François Abadie, fondateur du cabinet Jean-François Abadie : « Dans des conditions d'accueil satisfaisantes chez le père, le juge aux affaires familiales rappelle l'importance de la résidence alternée afin de permettre à l'enfant âgé de cinq ans de construire un lien paternel tout aussi fort que le lien maternel et d'évoluer à égales proportions tant au contact de son père que de celui de sa mère.

 

La décision du juge implique que la résidence alternée est présumée répondre par principe aux intérêts d'un enfant âgé de cinq ans quel que soit le fort antagonisme existant entre les parents, qu'il soit toujours présent, réel ou extrapolé... Un espoir pour de nombreux pères. »

 

 

Droit des affaires

Cautionnement

 

Tribunal de commerce de Romans, 17 novembre 2021, n° 2021J68 : appréciation du caractère disproportionné du cautionnement et interprétation par la banque de la fiche de renseignement patrimoniale

Ugo Gilbert, associé chez Cedrat Avocats : « Lorsque la caution mentionne sur sa fiche de renseignement patrimoniale l'existence d'un bien immobilier, précise "en cours" à côté de la mention de ce bien, et qu'une demande de prêt est en cours auprès de la même banque pour financer l'acquisition de celui-ci, la banque ne peut ignorer que la caution n'en est pas propriétaire.

Lors de l'appréciation de la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution en application de l'article L.332-1 du Code de la consommation, ce bien immobilier ne doit donc pas être considéré comme faisant partie du patrimoine de la caution.

C'est ce qu'a jugé le Tribunal de commerce de Romans sur Isère, qui a débouté la banque de l'intégralité de ses demandes en estimant que le cautionnement souscrit était manifestement disproportionné. »

 

 

Rupture des relations commerciales établies

 

Tribunal de commerce de Lille, 12 janvier 2022, 2020022182 : pas de rupture brutale des relations commerciales entre le commissionnaire et le sous-traitant lorsque ce dernier traite directement avec le donneur d'ordre.

Jean Leclercq, associé chez Theret & associés : « Une société de transport A est en relation d’affaires avec une société commissionnaire B et répond à un appel d’offres d’une société C.


La société B est l’actuelle adjudicataire du précédent appel d’offres qu’elle sous-traite à la société A, et répond aussi au nouvel appel d’offres.


La société A remporte l’appel d’offres. La société B s’estime évincée par son sous-traitant et engage une procédure indemnitaire à son encontre (et non à l’encontre de la société C) pour rupture brutale des relations commerciales établies (L.442-1 du code de commerce).

Le Tribunal de commerce de Lille Métropole rejette le 12 janvier 2022 la demande au motif que la liberté du commerce et l’indépendance de la société A à l’égard de la société B légitimaient la réponse de la société A à l’appel d’offres. De même, la société B aurait dû assigner la société C (et non la société A) sur le fondement de l’article L.442-1-II du code de commerce. »

 

Droit des assurances

Tribunal judiciaire de Bordeaux, 11 mars 2022, n° 20/03361 : absence de preuve de fausse déclaration intentionnelle du souscripteur et refus de nullité du contrat d'assurance

Yann Herrera, fondateur de Yann Herrera Avocat : « En l’espèce, un assureur avait tenté de faire valoir la nullité du contrat d'assurance et demandé remboursement de toutes les indemnités versées à l'assuré, au prétexte
 qu'un faux relevé d'information avait été adressé.

 

Le Tribunal ne l'a pas suivi.


Cette décision illustre les moyens employés par certains assureurs (dénonciation abusives de contrat, recours à des enquêteurs privés...) et la sagacité de certaines juridictions dans l'appréciation des preuves. »

 

Droit immobilier

 

Tribunal judiciaire de Bobigny, 7 mars 2022, n° 21/10004 : suspension du prêt en cas de retard de livraison dans le cadre d'une VEFA

Ganaëlle Soussens, fondatrice de Soussens Avocats : « Un acquéreur en VEFA (vente en état futur d’achèvement) déplore un important retard de livraison de son appartement. Le promoteur est demeuré sourd à ses demandes d’indemnisation, estimant que le retard avait été totalement justifié. Les actes de vente en état futur d’achèvement prévoient en effet que la survenance de certains événements autorise le promoteur à décaler la date de la remise des clés.


Le retard de livraison est souvent lourd de conséquences pour les acquéreurs. Ils doivent commencer à rembourser le prêt contracté pour financer l’acquisition tout en supportant les dépenses liées à leur logement actuel.


C’est la raison pour laquelle la jurisprudence a progressivement transposé à la VEFA la règle qui s’appliquait à l’origine au CCMI (contrat de construction de maison individuelle) et admis la suspension du prêt dans l’attente de la solution du litige avec le promoteur.


Autrement dit, lorsque le juge l’ordonne, l’acquéreur peut cesser de régler les mensualités du prêt immobilier, capital et intérêts, sans frais, ni pénalité. L’emprunteur ne sera pas non plus inscrit au FICP (fichier des incidents de crédit aux particuliers). Les primes de l’assurance emprunteur doivent en revanche continuer d’être payées.


C’est la juge de la mise en état qui peut ordonner cette suspension, dans le cadre du litige qui oppose l’acquéreur au promoteur et dans lequel la banque a été attraite.


Une fois la suspension prononcée, l’acquéreur poursuit l’instance contre le promoteur, en dommages-intérêts ou en résolution de la vente, en étant "soulagé" de la charge financière du prêt immobilier. »

 

 

Procédures civiles d'exécution

 

Tribunal judiciaire de Libourne, 28 janvier 2022, n° 21/00065 : principe de nécessité appliqué au choix de la procédure de recouvrement

Lola Michel, avocate : « Ce jugement vient rappeler que l’huissier peut certes procéder au recouvrement de sa créance, mais en respectant le principe de nécessité.

Ainsi, le créancier doit, avant de mettre en place une mesure particulièrement contraignante, chercher à ce que son débiteur puisse s’acquitter de sa dette. »

 

 

Droit public

 

Tribunal administratif de Bordeaux, 2 mars 2022, n° 2001473 : office du juge en droit public et principe de l'économie des moyens

 

Aurore Vigreux, fondatrice de Vigreux Avocat : « Hormis en droit de l'urbanisme, le juge administratif, lorsqu'il retient un moyen d'annulation de la décision attaquée, n'est pas tenu de répondre à l'ensemble des moyens invoqués, quand bien même ils seraient également fondés. Il s'agit de ce qu'on appelle "l'économie des moyens". Cette décision a retenu notre attention dès lors que le juge, qui pratique l'économie de moyens de manière systématique, a choisi dans cette décision de procéder à une surabondance de moyens (voir le considérant n° 10 "Au surplus"). L'illégalité fautive est double et pourrait conduire à l'engagement de la responsabilité de La Poste. »

 

 

Contentieux de l'urbanisme

 

Tribunal administratif de Versailles, renvoi après cassation, 7 février 2022, n° 422804 : refus d'un projet de construction pour suspicion d'un risque d'inondation

 

François-Olivier Séveno, fondateur de SEVENO Avocat : « En application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, un projet de construction peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique.

Pour apprécier s’il y a de tels risques d’atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, il appartient à l’Administration compétente et au Juge administratif de tenir compte de :

- la probabilité de réalisation de ces risques,
- la gravité de leurs conséquences s’ils se réalisent.

 

C’est ainsi que le Préfet peut valablement faire état – à l’occasion de son déféré – des travaux et études menées dans le cadre de l’élaboration d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles d’inondation qui n’est pas encore entré en vigueur, pour faire valoir que le projet de construction était de nature à faire suspecter un risque d’inondation et méconnaissait ainsi cette disposition du code de l’urbanisme.

 

 

Arbitrage

 

Tribunal de commerce de Rennes, 3 mars 2022, n° F2021F00369 : lois de police et compétence du tribunal arbitral

 

Rémi Kleiman, senior office partner, Romain Massobre, collaborateur senior et Dan Roskis, partner chez Eversheds Sutherland : « Les dispositions de l’Art. 442-1 du Code de commerce ne sont pas des lois de police et la qualification de lois de police ne permet pas, en tout état de cause, d’écarter la compétence des tribunaux arbitraux.

 

Une société française distribuant du matériel de chantier contestait, devant le Tribunal de Commerce de Rennes, la résiliation unilatérale d’un contrat de distribution exclusive par sa cocontractante tchèque et invoquait une prétendue rupture brutale de relations commerciales établies.

 

La défenderesse a soulevé l’incompétence du Tribunal compte tenu de l’existence d’une clause compromissoire. La défenderesse a répondu, d’une part, que la compétence du tribunal étant fondée sur les dispositions spéciales de l’article L. 442-4 III du Code de commerce, la clause compromissoire devrait être écartée. La défenderesse a de surcroît soutenu, d’autre part, que ses demandes seraient fondées sur des lois de police – à savoir les dispositions de l’article L442-1 du Code de commerce et, plus précisément, (i) la rupture brutale de relations commerciales établies (L. 442-1, II) et (ii) la soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif (L. 442-1, I, 2°) – dont la mise en œuvre ne pourrait être confiée qu’à des juridictions étatiques.

 

Le Tribunal a commencé par constater l’absence de nullité ou d’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage. Il a ensuite écarté les moyens présentés par la Défenderesse, rappelant en premier lieu, comme cela résulte d’une jurisprudence établie, que les dispositions de l’article L. 442-1 du Code de commerce ne constituent pas des lois de police, en ce qu’elles ne protègent que des intérêts privés et non l’intérêt général, et rappelant en second lieu que la qualification de lois de police n’a d’incidence que sur la loi applicable et non sur la compétence des tribunaux. Le Tribunal en a conclu qu’il appartenait donc au tribunal arbitral, par priorité et en application du principe compétence-compétence, de statuer sur la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage, et, le cas échéant, sur le fond.

 

Le Tribunal s’est donc déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. »

 

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Éloïse Haddad Mimoun

Docteure en droit et diplômée de l'Essec, Eloïse est rédactrice en chef du Blog Predictice.

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