David Richard, administrateur de l'Association Française des Docteurs en Droit, évoque la sortie prochaine de Doc ÉDITO, ouvrage consacré aux mutations des droits et libertés fondamentaux.
Nous clôturons la série d'entretiens consacrés à l'ouvrage Droit en mutation II. Aujourd'hui, vous nous annoncez qu'un troisième ouvrage est en cours d'écriture. Pouvez-vous parler de la thématique qui sera cette fois-ci mise en avant ?
L’axe de ce troisième ouvrage, qui s’intitulera Doc ÉDITO, diffère profondément des deux précédents et s’inscrit dans une dynamique nouvelle. Alors que jusqu’à maintenant, notre volonté était de donner à voir les changements à l’œuvre sur le champ du droit dans une acception large ; l’objectif aujourd’hui est de replacer ce thème sous l’égide des droits et libertés fondamentaux, en instaurant un véritable dialogue entre ce cadre normatif suprême et les phénomènes de mutation identifiés.
La démarche s’avère pour le moins passionnante puisqu’il ne s’agit plus seulement d’exposer une transformation, mais de la replacer dans un cadre structurant, s’il en est, et de donner de la perspective au sujet traité. Dune certaine façon, cela permet à la fois de contextualiser normativement les mutations, et de les appréhender avec plus de profondeur en les inscrivant dans une certaine historicité juridique.
Au-delà, et probablement surtout, l’exercice contribue à interroger le rapport entretenu par la société avec les règles fondatrices du contrat social. Or, la période que nous vivons est traversée par des défis puissants et nombreux, qui viennent au contact de ces normes, voire parfois les malmènent.
Le Défenseur des droits évoquait récemment l’hypothèse d’un recul plus moins accepté de nos libertés du fait de l’état d’urgence antiterroriste, puis sanitaire. Il est certain qu’en dehors de ces deux séquences d’une intensité exceptionnelle liées à ce que les constitutionnalistes nomment les pouvoirs de crise, les questions fusent de toutes part. Elles concernent l’égalité et la non-discrimination, le respect de la vie privée, les libertés collectives, la sûreté personnelle, la police ou encore la justice. Et, il s’agit là de têtes de chapitres, qui connaissent eux-mêmes nombre de ramifications.
Dans un tel contexte, si l’on refuse de se cantonner à un rôle de contemplateur béat ou de commentateur radotant, la seule alternative consiste à travailler à la compréhension de ces phénomènes. C’est la tâche assignée à l’ouvrage Doc ÉDITO, pour lequel le Conseil constitutionnel a accepté d’être partenaire, en participant au comité scientifique du livre, notamment aux côtés du Président de l’Association Française des Docteurs en Droit (AFDD), le Professeur Jacques Mestre, et de son secrétaire général – le Professeur Hugo Barbier.
Quels sont les principaux facteurs de ces mutations juridiques ?
Ces facteurs sont nombreux, et il existe plusieurs approches pour les sérier. À mon sens, on peut identifier : la globalisation, la digitalisation et l’écologie.
Depuis finalement assez peu, un monde global s’offre à nous. Porteur de rêves jusque là inaccessibles, la relativité soudaine de frontières en tous genres déstructure nos univers dans à peu près tous les domaines économique, politique, culturel, et bien entendu, juridique. Pour ne prendre qu’un exemple, l’opposition légendaire entre les deux grands modèles de droit, à savoir la common law et le droit civil, n’a plus, dorénavant, guère de sens. Reste à penser en dehors de ce face-à-face devenu sans intérêt, le ou les systèmes de demain.
La digitalisation, de son côté, représente un nouveau moyen pour l’homme d’assurer son développement et de le penser au travers des data. Là encore, il y aurait beaucoup de choses à dire sur le champ du droit. Toutefois, Predictice est un acteur majeur de la digitalisation du droit en France.
Par ailleurs, le Professeur Jacques Mestre vient de révéler les vertus de la conquête de l’espace électronique dans son dernier édito - salvateur en ces temps de crise, de la revue Lamy de droit civil[1]. Il me paraît donc plus sage de m’en remettre à ces deux références !
L’écologie ou, disons plus largement les préoccupations environnementales, sont assurément une autre cause puissante de transformation, et sans doute la première d’entre elles. Ce que l’on résume sous le terme de développement durable, popularisé dans le sillage du rapport Brundtland, remet en cause brutalement et irrémédiablement le rapport de l’homme à la nature, rapport pensé il y a plusieurs siècles, notamment sous l’impulsion de Descartes avec un homme sachant et dominateur.
Le changement s’annonce d’une profondeur abyssale et au long cours. Peut-être, ne sommes-nous pas revenus au temps de la découverte des pandectes pisanes au début du XVe siècle, origine supposée du renouveau du droit romain, mais le chemin à parcourir par les juristes sera long, et pas seulement pour eux.
Pourquoi les docteurs en droit sont-ils de véritables guides dans l'étude de ces différents sujets ?
Les docteurs se construisent au travers de la maîtrise d’une question particulière, dans une démarche presque radicale vis-à-vis de leur champ de recherche. Ils allient ainsi compétence technique et culture sur un sujet donné, leur permettant d’en connaître toutes les composantes dans une vision dynamique.
Les docteurs sont donc mécaniquement des témoins privilégiés du changement, capables de le comprendre, les pressentir mais aussi de l’expliquer.
Cette position n’est pas unique et d’autres expertises sont tout aussi légitimes, mais disons que la perspective des docteurs possède une richesse, voire un altruisme particulier, dont nous pensons qu’il est important de faire écho.
Pas moins de 24 pays seront représentés dans ce futur ouvrage. Pourquoi est-il important d'apporter une vision internationale à ces nouvelles problématiques juridiques ?
Et même 28, le cercle s’est encore élargi il y a peu ! La dimension internationale est presque naturelle pour l’AFDD. En effet en France, plus de la moitié des doctorats sont préparés par des étudiants étrangers ou traitent d’un sujet aux contours supranationaux. Le doctorat en droit représente ainsi intrinsèquement une ouverture au monde.
D’autre part, le monde global que j’évoquais à l’instant est un monde interdépendant. La digitalisation du droit pour reprendre cet exemple n’est pas propre à la France, mais le fruit d’échanges qui dépassent les contours de l’hexagone, où nous sommes influencés et influenceurs. Comprendre ce nouveau paradigme passe donc nécessairement par la prise en compte de perspectives autres que la nôtre, qui in fine ne sera qu’une vérité relative en relation avec d’autres. Doc ÉDITO, à sa mesure, contribue à faire vivre cette relation.
Last but not least, comme disent les Français. Au sein de ce nouveau monde, la compétition règne toujours, voire est exacerbée.
En conséquence, la tradition juridique civiliste française doit convaincre et pour cela - a minima - exister. À défaut, notre système de droit, et avec lui ses promoteurs, ses praticiens, ses penseurs, mais aussi ses valeurs disparaîtront, ou seront, aux mieux, relégués à la portion congrue. Il nous faudra alors évoluer dans un environnement sans outils conceptuels propres, c’est-à-dire sans souveraineté intellectuelle, pourtant véritable cheville ouvrière et garante en premier ressort de nos droits et libertés fondamentaux.
[1] J. Mestre, « La conquête des espaces », Revue Lamy Droit Civil, numéro 182, Juin 2020.
Diplômée en droit, Julia est en charge de la formation et de l'accompagnement des utilisateurs de Predictice.