Les outils de justice quantitative facilitent la recherche et l'analyse de décisions de jurisprudence pour les professionnels du droit. Mais comment fonctionnent-ils vraiment ?
Les outils de justice quantitative facilitent la recherche et l'analyse de décisions de jurisprudence pour les professionnels du droit. Mais comment fonctionnent-ils vraiment ?
Sous un angle fonctionnel, les algorithmes de justice prédictive permettent de calculer les chances de succès d’un procès devant une juridiction, le montant des indemnités qu’il est possible d’obtenir, et d’identifier les arguments de fait et de droit qui seront les plus susceptibles d’influer sur la décision juridictionnelle à venir.
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Pour faire simple, l’analyse prédictive se décompose en trois étapes, qui reviennent à répondre à trois questions.
Grâce à l’enrichissement des données, c’est-à dire à l’ajout de métadonnées décrivant les caractéristiques du litige dans un document, les solutions de justice prédictive sont d’abord de formidables moteurs de recherche, sémantiques et intelligents, très largement supérieurs à la génération précédente. Grâce à eux, le professionnel peut, entre autres, trier les informations selon leur sens ou leurs caractéristiques précises (ex : « trouver toutes les décisions de la Cour d’appel de Paris qui, depuis six mois, ont condamné la société X à payer entre 10 000 et 12 000 euros au titre de l’annulation d’un licenciement d’un salarié protégé avec six à huit ans d’ancienneté »).
Puisqu’il n’existe jamais deux litiges parfaitement identiques, l’enjeu est alors de comprendre l’impact d’un facteur ou d’une combinaison de facteurs (analyse multivariée) sur la résolution. C’est ici qu’entrent en jeu les algorithmes de machine learning, capables de croiser les observations pour créer des modèles prédictifs complexes. En appliquant ces modèles aux caractéristiques d’un litige, il est ainsi possible d’évaluer les probabilités de résolution.
La technologie est capable d’évaluer et de comparer plusieurs stratégies contentieuses, habilitant l’utilisateur à choisir l’option qui a statistiquement le plus de chances de succès, en fonction des caractéristiques variables de l’affaire. Les professionnels du droit, en se dotant de cet outil de performance, peuvent ainsi se concentrer sur le cœur de leur métier et sur leur valeur ajoutée.
En ce sens, la décision de s’équiper de ce type d’outil est similaire à celle d’une clinique achetant un nouveau scanner. Elle renforce la valeur de l’avocat sachant maîtriser cette technologie en l’assistant dans l’élaboration de stratégies et en démontrant son expertise auprès de la clientèle.
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Si certains considèrent ces nouveaux outils comme une révolution majeure (Antoine Garapon), d’autres sont plus hésitants. En effet, l’attitude des professionnels du droit oscille face à ces programmes informatiques dont il est difficile de comprendre le mécanisme, et qu’aucun juriste ne peut monter ou démonter de ses mains pour en comprendre la constitution.
Que l’on soit précautionneux ou conservateur, certains partent du principe que le progrès technologique ne peut que perturber une discipline vieille de trois millénaires. L’attitude à adopter vis-à-vis de la prédiction des jugements serait donc la même que celle qu’il fallait avoir vis-à-vis du fax, du téléphone, ou d’internet : au mieux la circonspection, au pire le rejet.
D’autres, peut-être conscients que la technologie a en réalité toujours bénéficié aux professionnels du droit (traitement de texte, dématérialisation des procédures, bases documentaires en ligne, emails…) ou aux plus opportunistes, adoptent une attitude positive. Pour eux, le monde se numériserait et se judiciariserait en même temps : face à un besoin de sécurité juridique accru, il faut donc s’adapter aux évolutions du marché et se doter des outils les plus performants.
Tous ont par contre le même sentiment d’accélération, comme si la digue patiemment construite durant les dernières décennies venait de céder face à la trop forte pression technologique accumulée à l’extérieur. C’est ce phénomène de rattrapage du secteur juridique, de comblement du décalage avec d’autres secteurs économiques — comme c’est le cas pour le secteur du journalisme — qui est à l’origine de cette tension.
Néanmoins, n’en déplaise aux fantasmes liberticides de certains rétifs, « le probable n’est qu’un canton du possible ». En d’autres termes, l’avenir est dans le domaine de l’action et de la volonté, et non de l’informatique.
Si on évalue le niveau d’adoption actuel de cette technologie selon la théorie d’Everett Rogers (1962), on peut se réjouir d’avoir vraisemblablement dépassé le chasme (abîme), stade critique déterminant de la viabilité d’un produit. Au vu du niveau actuel de propagation de ces outils, la « majorité pragmatique précoce » est déjà en pleine adoption de ces technologies, tandis que la « majorité conservatrice tardive » reste timide face aux changements devant elle.
La justice prédictive ne vise donc pas à automatiser la justice, mais seulement à fournir un outil d’aide à la décision à destination des professionnels du droit, et à contribuer à la performance et la transparence du service public de la justice.
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Finalement, anticiper est un exercice naturel. Intuitivement, beaucoup d’avocats utilisent déjà le raisonnement prédictif en se basant sur trois catégories d’information : le droit, les caractéristiques premières du litige et les éléments de contexte qu’ils apprécient en fonction de leur expérience.
L’exemple du calcul d’indemnités dans le cas d’un licenciement est probant. Il existe des règles précises pour déterminer les indemnités d’un salarié (le droit), qui s’appuient sur des éléments factuels et concrets tels que l’ancienneté dans l’entreprise (les caractéristiques du litige). Mais les indemnités totales peuvent également varier selon d’autres éléments tels que l’état de santé physique ou moral du salarié (éléments de contexte).
La justice prédictive n’a pas pour vocation de remplacer l’expert dans son travail de compréhension et d’analyse, mais de lui permettre de mieux saisir l’impact de ces caractéristiques du litige (faits) et des éléments de contexte sur la décision finale. Il s’agit d’ajouter à son expérience le résultat de l’analyse d’un nombre de données (le fameux big data), infiniment plus grand que ce que le cerveau humain est capable de compiler et de traiter.
Ainsi, la technologie de justice prédictive est avant tout une aide à la décision destinée aux professionnels du droit, permettant d’ajuster intelligemment conseils et stratégie en dépassant la connaissance empirique et nécessairement imparfaite du praticien. Elle fait partie des nouveaux outils à disposition des juristes souhaitant s’adapter aux mutations du marché des services juridiques.
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Sur la photo : Louis Larret-Chahine (Co-fondateur de Predictice), lors d'une intervention sur les enjeux de a justice prédictive