Frédéric Fournier, docteur en droit et associé du cabinet Redlink, dresse un bilan de la réforme portée par l'ordonnance du 24 avril 2019 sur le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales.
L’ordonnance est le fruit du souhait des juridictions, aussi bien de la cour d’appel de Paris que de la Cour de cassation, qui étaient submergées de dossiers, pas toujours pertinents d’ailleurs. Les juridictions avaient donc posé des restrictions très fortes sur les possibilités d’agir sur le fondement de la rupture brutale. L’ordonnance n’a fait qu’endosser ce souhait, et a permis de considérer que lorsque la rupture avait respecté un préavis de dix-huit mois, elle avait été faite dans des conditions raisonnables.
Ainsi, si ce contentieux a connu de forts pics aux alentours des années 2010, Il y a depuis deux ou trois ans un mouvement très fort de ralentissement. Désormais ce contentieux se tarit, car les condamnations deviennent difficiles à obtenir. En effet, la jurisprudence se montre très exigeante pour le demandeur à l'indemnité. Ainsi, la qualification du caractère brutal est devenue difficile à obtenir pour le demandeur depuis trois ans, et ce phénomène a été renforcé par l’adoption de l’ordonnance.
Oui, en effet. Il y avait bien des cas particuliers de sous-traitants travaillant depuis vingt-cinq ou trente ans avec une entreprise, pour lesquels la jurisprudence exigeait le respect d’un préavis de vingt-quatre mois, mais ces cas-là étaient très rares. En pratique, l’exigence du respect d’un préavis de dix-huit mois était déjà actée par les tribunaux, qui admettaient même souvent des préavis plus courts. D’ailleurs, sur un plan pratique, l’exigence de respect d’un préavis de douze mois aurait été un choix plus pertinent pour la rédaction du nouvel article L.442-1 du code de commerce. En tout état de cause, on voit très bien que le contentieux de la rupture est de plus en plus limité. Il existe encore, mais il est désormais lié à d’autres contentieux, comme celui portant sur le déséquilibre significatif.
La jurisprudence a établi une analyse très casuistique de la force majeure. Elle l'apprécie au cas par cas; il ne suffit pas d’être gêné dans son activité pour pouvoir invoquer la force majeure. Il faut que le covid-19 empêche le cocontractant de remplir ses obligations. Ainsi, par exemple, les constructeurs de l’industrie automobile ont fermé tous leurs sites et ont invoqué la force majeure. Leurs sous-traitants ont été obligés d’arrêter leur activité, et ne peuvent donc plus remplir à leur tour leurs obligations vis-à-vis de leurs fournisseurs. Il semble évident que les sous-traitants pourront invoquer la force majeure vis-à-vis de leurs partenaires.
En revanche, les cabinets d’avocats qui travaillent avec eux ne pourront probablement pas invoquer la force majeure, même si leurs conditions de travail sont plus compliquées...
Un autre exemple : le travail d’un de nos clients est de placer le public dans les émissions de télévision. Il est certain que la situation de force majeure pourra être invoquée par les sociétés de production.
Par ailleurs, il y a une seconde réflexion à mener, que l’on pourra opposer ou se voir opposer : celle à propos de la théorie de l’imprévision. L’article 1195 du code civil permet de l’invoquer lorsque les circonstances économiques extérieures rendent l’activité non rentable. Pour les contrats qui, depuis 2016, n’ont pas écarté l’imprévision, c’est un argument qu’on peut envisager à côté de celui portant sur la force majeure.
Pour retrouver l'intégralité de l'interview de Maître Fournier, nous vous invitons à télécharger le Panorama sur la rupture brutale des relations commerciales établies.