Blog de Predictice

Baux commerciaux : les effets de la crise sanitaire

Rédigé par Amaury Ropert | 20 juil. 2020 07:50:14
Me Bylitis Martin a analysé les effets, sur les baux commerciaux, des mesures gouvernementales prises pour endiguer la crise sanitaire, lors d'un webinar organisé par Predictice.

Maître Bylitis Martin, avocate au barreau de Paris, intervient de manière indépendante aussi bien auprès de bailleurs que de locataires exploitants. 

 

Voici une synthèse des éléments détaillés lors du webinar dédié aux effets de la crise sanitaire sur les baux commerciaux que nous avons eu le plaisir de tenir le 9 juillet dernier. 

 

Le paiement des loyers était-il suspendu pendant la période d'état d'urgence sanitaire ?

C'est la question qui a le plus occupé les avocats à l'ouverture de la période d'état d'urgence sanitaire. Le Président de la République a en effet appelé le 16 mars 2020 à la « suspension des loyers ».

 

Historiquement, notamment lors de la Première Guerre Mondiale, les commerçants et boutiques ont connu des fermetures massives et généralisées. La jurisprudence la plus établie a répondu qu'en matière de contrats à exécution successive, il ne peut y avoir de suspension générale de l'ensemble des obligations du contrat. Seules certaines obligations peuvent être suspendues si et seulement si un texte spécifique vient l'encadrer.

 

Ici, et en application de l'article 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020, seuls les effets du non paiement des loyers ont été neutralisés pour les seuls preneurs bénéficiant du fonds de solidarité.

 

Qu'adviennent les franchises consenties et prévues pendant la période d'état d'urgence sanitaire ?

Le bail commercial peut prévoir une clause de franchise permettant au preneur de réaliser des travaux afin d'adapter le local à son activité commerciale. Le bailleur s'engage à ne pas percevoir de loyer pendant une durée déterminée, généralement la durée prévue pour la réalisation desdits travaux. 

 

Si le bail a été rédigé correctement, il y a un lien évident entre la réalisation des travaux et la franchise. Les parties au bail commercial doivent veiller à bien faire le lien entre la franchise, l'estimation financière de leurs travaux et la temporalité dans laquelle s’inscrit la réalisation des travaux, contrepartie de la franchise.

 

La meilleure option est de se rapprocher du bailleur, de faire valoir que les chantiers étaient arrêtés et négocier de façon amiable un report de la franchise.

 

Comme sur la question des loyers, c’est à géométrie variable, certains bailleurs ont répondu favorablement et de manière réactive, d’autres ont davantage traîné, et c'est compréhensible : certaines franchises d'aménagement peuvent durer six mois voire un an. C'est assez difficile à gérer en terme de trésorerie pour un bailleur.

 

Pouvait-on réaliser un état des lieux de sortie en plein confinement ?

L'état des lieux de sortie matérialise la fin du bail commercial ; cependant, pour qu'il soit réalisé, encore faut-il que les locaux soient vides et qu'un déménagement ait pu avoir lieu !

 

Malgré les restrictions aux allers et venues des citoyens, les professionnels étaient autorisés à se déplacer si les déplacements étaient justifiés par leur activité professionnelle. Les parties, mais également les huissiers, pouvaient donc se déplacer pendant la période d'état d'urgence sanitaire et ainsi procéder à des états des lieux. Ils n'ont pu envisager de déménager qu'au mois de juin.

 

Doit-on s'attendre à un accroissement significatif des actions prises par les bailleurs et preneurs ?

Un accroissement des actions est probable... Nul doute, en revanche, que les magistrats fassent preuve de compréhension et accordent des délais de paiement.

 

Il convient de rappeler qu'une charte des bonnes pratiques entre commerçants et bailleurs a été signée 3 juin : elle pose le cadre de négociations et les jalonne quantitativement et temporellement pour ses signataires. Il est fort probable qu'elle serve de référence.

 

En raison de l'encombrement des Tribunaux, l'heure est au rapprochement et c’est heureux, car les délais n'offrent pas la visibilité minimum à laquelle chacune des parties a pourtant le droit : l'un pour faire son business plan, l'autre son plan de retraite pour avoir des échéances tenables et éviter la déliquescence des uns et des autres.

 

Quelles sont donc les solutions offertes aux parties pour défendre au mieux leurs intérêts respectifs ?

Malgré les rigidités apportées dans la rédaction des baux commerciaux par la loi Pinel, en cette période extraordinaire, l'avocat dispose d'une plus grande marche de manœuvre. Le débat est passionnant juridiquement et intellectuellement car les solutions sont multiples, mais il faut avant tout trouver le point de jonction entre toutes les théories en présence et les intérêts des parties.

 

Il est donc recommandé de négocier de bonne foi et d'en revenir à des principes d’équité. Si la négociation n’aboutit pas, il est temps de notifier par écrit les fondements que l’on entend invoquer.

 

On a beaucoup parlé de la force majeure. L'ordonnance de référé rendue par le Tribunal de commerce de Paris le 20 mai 2020 (EDF c/ Total Direct Energie) vient compléter les premières décisions rendues en droit administratif et en droit pénal reconnaissant que des restrictions extraordinaires apportées à la circulation constituent un cas de force majeure.

 

Cependant, nous sommes certains d'une chose : elle ne peut justifier l'impossibilité de payer une somme d'argent.

 

Le bailleur serait plus enclin à l'invoquer car il est dans l'impossibilité de livrer un bien propre à l’exploitation : soit parce qu'un arrêté l’interdit, soit pour des raisons sanitaires. C'est notamment le cas des copropriétés ou ensembles immobiliers ayant matériellement fermé.

 

Une autre objection au sujet de la force majeure est liée au caractère irrésistible de la crise. L'irrésistibilité pourrait être contournée par plusieurs moyens : certains ont doublé leur chiffre d'affaires en pratiquant la vente à emporter, d'autres ont recouru à la souscription d'emprunts. Nous ne sommes pas en période de guerre civile totalement irrésistible ... ! 

 

Le preneur semble pouvoir en revanche invoquer l'exception d'inexécution. Puisque le bailleur est dans l'impossibilité matérielle de mettre à disposition un local, le preneur ne devrait pas être tenu de payer la totalité du loyer. C'est également le cas lorsque seulement une partie de la surface est exploitable (uniquement la terrasse par exemple). Le preneur doit pouvoir jouir paisiblement du local.

 

Cela va dépendre : 

 

  • de la nature du commerce : un arrêté prévoyait une liste d'établissements autorisés à accueillir du public. Cette liste est assez étonnante puisque les réparateurs de voiture y étaient autorisés, mais naturellement, l'exploitant n'a reçu aucun client pendant le confinement... ; et
  • de la composition de la zone marchande et de la zone de chalandise. Par exemple, si le gestionnaire d'un centre commercial a pris la décision de fermer les grilles du centre, il est impossible pour les exploitants d'accéder à leurs cellules.

 

La théorie de l'imprévision est également applicable pour les baux postérieurs à 2016. Pour exciper de l'imprévision, il faut être face à une situation inédite, imprévisible au moment de la signature du bail et être dans l'impossibilité d’exécuter le contrat sans que ce soit trop onéreux.

 

Cette option présente un avantage puisqu'elle prévoit une phase amiable préalable à la saisie des Tribunaux, cela participe de l’effort de rapprochement, si important en cette période troublée. 

 

Elle présente cependant un inconvénient : elle impose au locataire de payer tant que le juge n’a pas statué et on peut attendre 2021 voire 2022 pour obtenir une première décision. Le moyen terme dans lequel s’inscrivent ces procédures n’est pas le temps de la réalité économique des exploitants, des institutionnels endettés et des bailleurs qui comptent sur les revenus générés par les loyers pour subsister.

 

Pour accéder à la rediffusion du webinar, cliquez ici !