Témoignage de Garance Barrès, avocate au Barreau de Paris, qualification EIMA (Ecole Internationale des Modes Alternatifs de règlement des litiges).
Depuis ma prestation de serment, en novembre 2014, je suis collaboratrice libérale dans un cabinet généraliste pour lequel j’interviens en contentieux civil, commercial et prud’homal. J’ai aussi mes propres clients, principalement en droit du travail et en droit des étrangers. Je suis très intéressée par les MARD (modes alternatifs de règlement des différends) depuis que j’en ai entendu parlé en cours à l’EFB. Après avoir assisté à plusieurs conférences et formations organisées par l’Ordre sur le sujet, j’ai suivi cette année une formation longue à l’EIMA (Ecole Internationale des Modes Alternatifs de règlement des litiges). J’ai aussi été formée au Droit collaboratif auprès de l’AFPDC (Association Française des Praticiens du Droit Collaboratif). Et je ne m‘arrête pas en si bon chemin ; en 2019 je me consacrerai (avec enthousiasme) au Diplôme Universitaire de Médiateur à l’IFOMENE (Institut de Formation à la médiation et à la négociation).
Si on sait bien les utiliser, il n’y a selon moi que des bénéfices :
Les critères d’éligibilité ne sont absolument pas figés, c’est vraiment de la casuistique.
Tout d’abord, je m’assure que le domaine concerné n’est pas « fermé » aux MARD (ex : droit des étrangers, droit pénal, procédures collectives) et que la question porte seulement sur des droits dont les parties ont la libre disposition. Ensuite je vérifie s’il existe dans le dossier un ou plusieurs éléments d’extranéité car cela peut poser un problème de loi applicable ou de reconnaissance de l’accord par exemple.
Si la mise en place d’un MARD est possible, je me demande ensuite si elle est opportune. Pour cela, je me pose notamment les questions suivantes :
Il y a aussi un critère plus stratégique ; plus l’aléa judiciaire est important, plus le recours aux MARD peut être intéressant !
Une fois que l’on se dit que le dossier peut être éligible à une résolution amiable, encore faut-il déterminer quel MARD serait le plus approprié. Là encore, je procède d’abord par élimination (ex : si une procédure est déjà engagée, on ne peut pas faire de droit collaboratif), puis selon les spécificités du dossier (ex : si la présence d’un tiers me paraît nécessaire pour apaiser le conflit, ce sera plutôt une médiation qu’une « simple » négociation).
Pour chaque dossier, il existe une réponse amiable adaptée.
Après les avoir écoutés et leur avoir présenté, avant toute chose, une analyse juridique de leur dossier, j’indique à mes clients quelle est ma méthode de travail : pour régler la ou les question(s) qui les préoccupe(nt), je mets à leur disposition un panel d’outils qui inclut aussi bien les MARD que les voies judiciaires « classiques ».
Je leur explique pourquoi j’ai choisi d’intégrer les MARD dans ma pratique en leur présentant les bénéfices des MARD et notamment l’intérêt d’ouvrir un espace de dialogue avec l’autre partie.
Proposer les MARD fait d’ailleurs maintenant partie de notre mission, de nos obligations. L’article 21.3.7.1 du Code de déontologie des Avocat de l’UE prévoit que « L’avocat doit essayer à tout moment de trouver une solution au litige du client qui soit appropriée au coût de l’affaire et il doit lui donner, au moment opportun, les conseils quant à l’opportunité de rechercher un accord ou de recourir à des modes alternatifs pour mettre fin au litige ».
Les clients sont rarement réticents. C’est vrai qu’ils sont parfois très virulents au départ à l’égard de leur adversaire et disent vouloir « la guerre », mais le fait de les écouter et de prêter une vraie attention à leur problématique suffit souvent à calmer le jeu et permet de s’orienter vers une tentative de résolution amiable sans que cela ne soit vécu comme un « aveu de faiblesse ».
Avec les Confrères c’est beaucoup plus compliqué. Pour certains, le simple fait de se téléphoner à réception d’un dossier, de se parler autrement que par voie de conclusions, n’est pas naturel. Il y a un vrai blocage et je pense que cela vient aussi du fait que certains Confrères ne savent pas comment « gérer » les MARD (en termes de facturation notamment !).
Il me paraît en tout cas essentiel de toujours écouter et essayer de comprendre les éventuelles réticences des clients et des Confrères, pour tenter de les accompagner vers les MARD sans pour autant chercher à imposer ces méthodes. Par définition, les MARD supposent une réelle adhésion de tous au processus.
Première étape indispensable : je m’assure de l’adhésion de mon client à la démarche avant d’établir un premier contact avec mon Confrère (ou la partie adverse si elle n’est pas assistée).
Quel que soit le mode de résolution vers lequel nous nous orientons, je travaille toujours avec mon client pour tenter d’identifier, en l’écoutant, ses véritables besoins et intérêts. Nous essayons aussi de déterminer le ou les fait(s) générateur(s) du conflit et d’envisager quels pourraient être les besoins de la partie adverse.
Je procède ensuite à une étude juridique approfondie du dossier (qui passe par le recueil d’un maximum de données objectives et de traditionnelles recherches juridiques) pour m’assurer que je maîtrise les points de droit avant d’entamer la négociation.
L’identification de ma BATNA (Best Alternative to a Negociated Agreement) est une étape cruciale, car c’est grâce à elle que mon client et moi serons en mesure d’apprécier, le moment venu, les différentes options et choisir la ou les meilleure(s) option(s) pour répondre aux besoins de mon client. J’essaye également de déterminer la BATNA de la partie adverse, ce qui peut être très utile dans le cadre de la négociation !
Il faut bien sûr évaluer la faisabilité juridique des options choisies, puis les mettre en place concrètement (rédaction de l’accord et exécution).
L’identification de la BATNA, suppose d’avoir préalablement déterminé les véritables besoins et intérêts de mon client.
Je peux ainsi envisager l’éventail des actions qui seraient de nature à satisfaire ces besoins et intérêts à défaut d’accord : est-ce qu’une procédure est possible ? Quelle procédure ? Devant quelle juridiction ? Dans quel délai ?
Je m’attache ensuite à évaluer :
Pour moi une BATNA n’est pas qu’une solution de repli, elle permet de connaître les forces et les faiblesses du dossier. C’est très important d’être parfaitement d’accord avec le client sur ce point (car c’est souvent compliqué pour lui d’accepter les faiblesses de son dossier). La BATNA permet ensuite bien sûr d’apprécier les propositions formulées dans le cadre de la négociation, et de ne pas accepter l’inacceptable.
Oui, pour essayer de déterminer les chances de succès de la procédure que je serais peut être amenée à engager à défaut d’accord.
Ce qui est précieux c’est bien sûr de réussir à savoir quel type de décisions ont été prises récemment dans des dossiers similaires par la juridiction qui serait compétente pour trancher le litige et par la juridiction d’appel également compétente. Predictice me permet par exemple d’identifier la jurisprudence qui permettrait de défendre la « position » mon client en cas de contentieux, mais aussi celle qui pourrait être utilisée par la partie adverse et qu’il est donc important de bien connaître. Il faut savoir entrer les bons critères de recherche pour accéder aux espèces les plus proches possibles de mon dossier, ce qui n’est pas toujours évident.
Dans mes recherches, je poursuis plusieurs objectifs en parallèle :
Oui c’est le bon mot : pour moi l’analyse chiffrée est un « outil » et non une boule de cristal. On ne peut pas prédire quelle sera la décision d’un juge : chaque dossier est différent, et chaque juge aussi !
Mais le fait de disposer de données statistiques sur les décisions rendues par une juridiction permet de nous éclairer sur ce à quoi nous pouvons nous attendre en saisissant cette juridiction. En ce sens, Predictice m’aide à « objectiver»la prise de décision.
Ces données objectives me servent également de base pour alerter mes clients sur le fait que leurs attentes (bien que tout à fait légitimes) sont parfois démesurées au regard des décisions rendues dans des cas similaires, afin qu’ils ne fondent pas d’espoirs excessifs.
Déjà la loi n° 2016–1547 du 18 novembre 2016 avait favorisé et démocratisé les MARD. La loi de programmation 2018–2022 et de réforme pour la Justice constitue une nouvelle avancée dans leur promotion puisqu’elle généralise le pouvoir du juge d’enjoindre de rencontrer un médiateur, élargit le domaine de la conciliation obligatoire, encadre et prévoit des garanties pour les services en ligne de résolution amiable.
Je pense et j’espère que cette réforme aura une réelle incidence sur nos habitudes et qu’elle contribuera à :
Pour moi ce qui est positif ce sont les différentes initiatives des Barreaux et des juridictions qui mettent en place des expérimentations pour faire entrer concrètement les MARD dans la pratique judiciaire. Nous en avons déjà quelques exemples :
A mon humble avis, il y a encore plusieurs pistes d’amélioration pour valoriser d’avantage les MARD aux yeux des justiciables et des professionnels du Droit :
Je ne pense pas, mais c’est une crainte pour beaucoup de Confrères et il est vrai que nous nous ne sommes ni formés, ni habitués à facturer ce type de prestation.
En réalité, il me semble que les MARD sont au contraire plus « rentables » car les dossiers sont traités dans un laps de temps réduit : cela nous évite de faire ce que nous devons systématiquement faire dans les procédures contentieuses c’est à dire ressortir le dossier 6 mois ou un 1 an après l’assignation pour conclure et devoir se « remettre » dans le dossier, ce qui représente du temps difficilement facturable …
En plus dans les MARD, le client est beaucoup plus impliqué, plus présent et il peut donc constater le travail réellement effectué par son Avocat.
Surtout les clients sont généralement très satisfaits des résultats obtenus grâce aux MARD, ils sont donc fidélisés !
PS : Un grand merci à Garance pour le précieux temps qu’elle nous a accordé ! Suivez-nous sur Linkedin, Facebook & Twitter pour être tenus au courant.